Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/340

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quand je suis absent, n’est-ce pas ? C’est avec des gens de la sorte que vous complotez et que vous intriguez, hein ?

– Non, je vous jure. Je ne connais pas vos secrets, et je ne comprends rien à tout cela. Quant à lui, depuis que j’ai quitté la maison de mon père, je ne l’ai vu qu’une fois, que deux fois jusqu’à ce jour.

– Ah ! dit Jonas d’un ton de persiflage en remarquant cette correction. Qu’une fois, que deux fois, hein ? Lequel est-ce, voyons ? Deux fois et une fois peut-être, ce qui fait trois fois ! Combien de plus encore, menteuse ? »

À un mouvement de colère que fit Jonas, elle baissa précipitamment la tête. Geste trop significatif et plein d’une cruelle vérité !

« Combien de fois de plus ? répéta-t-il.

– Pas une. L’autre matin, aujourd’hui, et une autre fois encore. »

Il ouvrait la bouche pour lui répondre quand l’horloge sonna. Il tressaillit et s’arrêta pour écouter. Il semblait réfléchir à quelque rendez-vous ou à quelque projet secret, connu de lui seul, que lui rappelait ce témoignage de la marche du temps.

« Ne restez pas là. Levez-vous ! »

L’ayant aidé à se lever, ou plutôt l’ayant soulevée rudement par un bras, il lui dit :

« Écoutez-moi, belle madame, et ne pleurez pas sans motif, ou je vous en donnerai des motifs, moi. Si je le retrouve jamais chez moi, ou si jamais je découvre que vous l’ayez vu chez n’importe qui, je vous en ferai repentir. Si vous n’êtes pas sourde et muette pour tout ce qui me concerne, à moins que je ne vous aie donné la permission d’entendre et de parler, je vous en ferai repentir. Maintenant qu’on me serve. Quelle heure est-il ?

– Huit heures viennent de sonner il y a un instant. »

Il la regarda attentivement ; puis il lui dit, en articulant distinctement et péniblement les mots, comme s’il les eût appris par cœur :

« J’ai voyagé nuit et jour, et je suis fatigué. J’ai perdu de l’argent, ce qui ne contribue pas à m’égayer. Préparez mon souper dans la petite chambre en bas, sur le derrière de la maison, et faites-y mettre un lit de sangle. J’y coucherai cette nuit et peut-être la nuit prochaine, et si je puis dormir toute la journée de demain, tant mieux, car j’ai des soucis à oublier dans le sommeil, s’il m’est possible. Qu’on ne fasse pas de