Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/355

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Et cependant il n’avait pas de regret. Non. Il avait trop haï Montague, il y avait trop longtemps qu’il n’avait pas d’autre pensée que de s’affranchir de son joug. Si la chose avait été à refaire, il l’eût refaite. Ses passions haineuses et vindicatives n’étaient pas de nature à se calmer si aisément ; il n’avait pas, en ce moment même, plus de regret ni de remords que lorsqu’il couvait sa vengeance.

L’angoisse et l’épouvante auxquelles il était en proie, étaient d’une violence qui l’étonnait lui-même ; il ne pouvait les dominer. Il éprouvait tant d’horreur et de crainte à l’idée de cette infernale chambre qu’il allait retrouver chez lui ! À cette pensée sombre, meurtrière et folle, il sentait qu’il avait peur non-seulement pour lui, mais encore de lui-même ; il était effrayé de faire partie de cette chambre, d’être quelque chose qu’on supposait là, et qui cependant ne s’y trouvait pas ; il se plongeait dans ses mystérieuses terreurs ; et, tandis qu’il se représentait cette chambre abominable, avec son calme hypocrite, durant les noires heures de deux nuits entières, et le lit foulé, sans qu’il fût dedans, comme on devait le croire, il devint en quelque sorte son propre spectre, son propre fantôme, le démon et le possédé tout à la fois.

La diligence arriva bientôt. Jonas fut placé alors sur la banquette, et entraîné rapidement vers sa demeure. En s’asseyant à côté des voyageurs de l’impériale, pour la plupart gens de la campagne, il avait peur qu’ils ne fussent instruits du meurtre et qu’ils ne vinssent à lui dire que le cadavre avait été découvert : et cependant, il savait bien que le temps et la distance ne permettaient pas cette supposition. Mais il avait beau le savoir, il avait beau par conséquent regarder leur ignorance du fait comme une chose toute naturelle, cette ignorance releva son courage. Il alla jusqu’à se dire qu’il était possible que le cadavre ne se retrouvât jamais, et jusqu’à faire pour l’avenir des projets en conséquence. Partant de cette espérance, et mesurant la durée sur la fougue rapide de ses pensées coupables, confondant les heures qui avaient précédé l’assassinat dans un chaos d’images incohérentes et désordonnées auxquelles il était en proie, il en vint, au point du jour, à considérer le meurtre comme un meurtre ancien déjà, et à se croire désormais en sûreté, puisque le crime n’avait pas été encore découvert. Pas encore ! quand le soleil qui maintenant regardait dans le bois et dorait de ses rayons naissants le visage de l’homme mort, avait vu la veille, au moment de son coucher, cet