Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/357

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criait à chaque battement : « Assassin ! assassin ! assassin ! » dans son lit. Quelles expressions pourraient peindre ces vérités terribles ?

La matinée avançait. Des pas retentissaient dans la maison. Jonas entendit lever les jalousies et ouvrir les contrevents ; de temps en temps, on s’approchait furtivement de sa porte. Il essaya plusieurs fois d’appeler ; mais sa bouche était sèche comme si elle avait été remplie de sable brûlant. Enfin il se mit sur son séant dans son lit et cria :

« Qui est là ? »

C’était sa femme.

Il lui demanda quelle heure il était. Neuf heures.

« N’a-t-on pas… n’a-t-on pas frappé hier ? dit-il avec hésitation. J’ai bien entendu quelque chose à travers mon sommeil, mais j’aurais mieux aimé vous laisser enfoncer la porte que de me déranger pour répondre.

– Personne n’a frappé, » dit-elle…

Très-bien. Il était tout hors d’haleine jusque-là, en attendant la réponse de sa femme. Ce fut un soulagement pour lui, s’il est vrai qu’il pût éprouver quelque soulagement.

« M. Nadgett est venu pour vous voir, reprit-elle ; mais je lui ai dit que vous étiez fatigué et que vous aviez défendu qu’on vous dérangeât. Il a dit que l’affaire qui l’amenait n’avait pas grande importance, et il s’est retiré. Comme j’ouvrais ma fenêtre pour renouveler l’air, je l’ai vu qui passait dans la rue ce matin, de très-bonne heure ; mais il n’est pas revenu. »

Nadgett avait passé ce matin même dans la rue, de très-bonne heure !

Jonas trembla à l’idée que peu s’en était fallu qu’il n’eût rencontré cet homme, cet homme même qui n’avait jamais rien plus à cœur que d’éviter les gens, de se glisser sans être observé et de garder ses propres secrets, cet homme enfin qui ne voyait rien.

Il commanda à sa femme de lui tenir son petit déjeuner prêt et se prépara à monter, en ayant soin de se vêtir des habits qu’il avait quittés lorsqu’il s’était enfermé dans la chambre, et qui, depuis étaient restés derrière la porte. Dans la crainte secrète qu’il avait de se montrer aux domestiques pour la première fois, après l’acte qu’il avait commis, il se tint près de la porte sous des prétextes en l’air, afin qu’on pût l’apercevoir sans le regarder en face, et il la laissa entre-bâillée tan-