Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/358

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dis qu’il s’habillait ; puis il cria qu’on vînt ouvrir les fenêtres et laver le carreau, afin que ses gens s’habituassent à sa voix. Même après avoir gagné du temps, de manière ou d’autre, si bien qu’il les eût vus tous et qu’il eût parlé à chacun d’eux, il ne put de longtemps trouver le courage d’aller et venir au milieu d’eux, se tenant collé à sa porte pour écouter le murmure lointain de leur conversation.

Cependant il ne pouvait pas toujours rester là et il alla rejoindre son monde. Le dernier regard qu’il avait jeté sur le miroir lui avait bien fait voir un visage tout prêt à le trahir, mais peut-être cela provenait-il de l’inquiétude même de ce regard. Il n’osait point regarder si les domestiques l’observaient, mais il les trouvait bien silencieux.

Et quelques précautions qu’il prît pour se contenir, il ne pouvait s’empêcher d’écouter et de montrer qu’il écoutait. Soit qu’il prêtât l’oreille à leurs discours, ou qu’il essayât de penser à autre chose, oui qu’il parlât lui-même, ou qu’il se tînt tranquille, ou qu’il comptât résolûment les lourds battements d’une pendule importune qui se trouvait derrière lui, il écoutait avec une attention de plus en plus profonde, comme si on lui avait jeté un sort… Car il savait que cela devait venir, et sa punition actuelle, sa torture et son supplice, étaient de l’écouter venir.

Chut !


CHAPITRE XXIII.
Qui vous donnera des nouvelles de Martin et de Mark, aussi bien que d’une troisième personne qui n’est pas tout à fait inconnue au lecteur. On y verra, en outre, la piété filiale sous un assez vilain jour, et un faible rayon de lumière descendra sur un point très-obscur.

C’était le matin. Tom Pinch et Ruth étaient à déjeuner. La fenêtre ouverte laissait voir, à l’intérieur, une rangée de fleurettes des plus fraîches, disposées par les mains mêmes de Ruth. Ruth avait attaché à la boutonnière de Tom une branche de géranium pour le faire beau et lui donner toute la journée un air printanier. (Elle avait dû l’attacher ; sinon, le brave vieux Tom n’eût pas manqué de perdre son géranium.)