Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/367

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quand nous causâmes de ce sujet, il y a longtemps, avant que vous eussiez quitté le Dragon. »

M. Tapley s’inclina en signe d’assentiment et reprit :

« Bien, monsieur ! Mais comme j’étais, à cette époque, rempli de visions d’espérance, j’arrivai à conclure qu’il n’y avait pas de mérite à retirer d’un genre de vie comme celui-là, où l’on aurait sous la main toute sorte de choses agréables. Je jette les yeux sur le côté brillant de la vie humaine : l’une de mes visions d’espérance, c’est qu’il y a là bon nombre de misères qui m’attendent et parmi lesquelles je pourrai me fortifier le caractère et me montrer jovial dans des circonstances qui m’en feront une espèce de mérite. Je m’élance joyeusement dans le monde et j’aborde l’épreuve. D’abord, je m’embarque sur un vaisseau, et presque aussitôt je découvre (grâce à la facilité que j’ai à être jovial, vous savez) qu’il n’y a pas de mérite à avoir là de la jovialité. J’aurais dû me tenir pour averti, et renoncer à l’affaire ; pas du tout, je gagne les États-Unis, et là je commence, je ne puis le nier, à avoir quelque peu de mérite à conserver du courage. Qu’est-ce qui s’ensuit ? Juste comme je commençais à sortir d’embarras et comme je touchais au but, voilà mon maître qui me trompe.

– Il vous trompe ! s’écria Tom.

– Il me floue ! répliqua M. Tapley avec une face rayonnante. Il renonce à tout ce qui eût pu donner quelque mérite à mon service auprès de lui et me plante là au beau milieu de mes espérances, ne sachant plus de quel pied danser. Dans cet état, je retourne à la maison. Très-bien. Alors toutes mes visions, toutes mes illusions étant détruites, comme je ne trouve nulle part le moindre mérite à recueillir, je m’abandonne au désespoir et je me dis : « Résignons-nous, puisque j’en suis réduit là, faisons tout de suite ce qui me rapportera le moins de mérite. Épousons une charmante et douce créature qui est folle de moi et dont je raffole moi-même ; menons une vie heureuse, et ne luttons plus contre le guignon qui s’acharne après mes projets. »

Tom avait ri de bon cœur en entendant ce discours.

« Si votre philosophie, dit-il, Mark, est la plus bizarre que je connaisse, ce n’est toujours pas la moins sage, et naturellement mistress Lupin a dit : « Oui ? »

– Eh ! bien, non, monsieur, répondit Tapley ; elle n’a pas été aussi vite en besogne. Ce que j’attribue principalement à ce que je ne le lui ai pas demandé. Mais nous avons été très--