Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/373

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peut-être plus ; le fait est resté gravé dans mon esprit, mais je ne saurais préciser la date avec la mémoire que j’aurais eue autrefois), oui, ce fut environ une semaine après, que Jonas me reparla de ce sujet. Nous étions encore seuls ensemble ; nous avions devancé l’heure de la réunion habituelle. Il n’y avait pas eu de rendez-vous fixé entre nous : mais je pense que j’étais venu pour le rencontrer, et je sais qu’il était venu de son côté tout exprès pour me voir. Il était en train de lire un journal lorsque j’entrai, et il me fit une inclination de tête sans me regarder ni cesser de lire. Je m’assis en face, tout près de lui. Aussitôt il me dit qu’il désirait que je lui donnasse deux sortes de drogues : l’une d’un effet rapide, et dont il ne lui fallait qu’une petite quantité ; l’autre, lente et ne laissant pas de trace ; et celle-ci, il lui en fallait davantage. Tout en me parlant, il paraissait de plus en plus appliqué à sa lecture. Il employa le mot de : « Drogues, » et nul autre. Je n’en employai pas d’autre non plus.

– Tout ceci est conforme à ce que j’ai entendu déjà, fit observer John Westlock.

– Je lui demandai pour quel usage il désirait avoir ces drogues. Il répondit que ce n’était pour rien de mal ; seulement pour en donner à des chats. Qu’est-ce que cela me faisait ? J’allais partir pour une colonie éloignée (je venais de recevoir ma commission que ma maladie m’avait fait perdre, M. Westlock le sait, et qui était mon unique espoir contre une ruine imminente) ; qu’est-ce que cela me faisait ? Il me dit, en outre, qu’il pourrait sans mon assistance trouver ces drogues partout ailleurs, mais que cela lui serait moins commode. C’était la vérité. Après tout, disait-il, il n’en avait pas absolument besoin, et ne comptait pas s’en servir pour le moment ; mais il désirait les avoir en sa possession. Durant tout ce temps, il continuait de lire son journal. Nous parlâmes du prix. Il convint de me remettre une petite dette (pour laquelle j’étais entièrement à sa merci) et de me payer en outre cinq guinées. Nous en restâmes là, d’autres personnes étant survenues. Mais le lendemain soir et avec une exacte répétition des mêmes circonstances, je lui apportai les drogues, sur son assurance qu’il fallait que je fusse fou de penser qu’il pût en faire mauvais usage ; et il me donna l’argent. Jamais, depuis, nous ne nous sommes revus. Je sais seulement que le pauvre vieux père mourut bientôt après, tout juste comme s’il avait été empoisonné par ces drogues, et que moi j’ai eu à endurer