Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/374

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et que j’endure encore un supplice intolérable. Rien, ajouta Lewsome en levant les mains, rien ne saurait peindre ma misère ! Elle est bien méritée, mais rien ne saurait la peindre. »

En achevant ce récit, il baissa la tête sans ajouter un mot de plus. Dans l’état d’épuisement et d’abattement où il se trouvait, il eût été aussi cruel qu’inutile de lui faire subir des reproches.

« Ne laissez pas aller cet homme-là, dit Martin à part à Westlock ; mais, au nom du ciel, que personne ne le voie.

– Il demeurera ici, dit John à demi-voix. Venez avec moi ! »

Il enferma sans bruit Lewsome à double tour lorsqu’il sortit avec Martin, et ramena celui-ci dans la chambre voisine où ils s’étaient tenus précédemment.

Martin était si confondu, si stupéfié, si attristé par ce qu’il venait d’entendre, qu’il lui fallut du temps avant de pouvoir remettre quelque ordre dans ses idées, et saisir assez bien le rapport d’un détail à l’autre pour les embrasser tous dans une vue d’ensemble. Lorsque enfin il se fut bien rendu compte de tout le récit, John Westlock lui fit voir clairement que vraisemblablement le crime de Jonas était connu de quelques autres personnes, qui l’exploitaient à leur profit, étant à même d’exercer sur le coupable l’influence que Tom Pinch avait surprise par hasard, et dont il avait été l’instrument sans le savoir. C’était si clair, que les deux gentlemen s’arrêtèrent sans hésiter à cette dernière supposition ; mais, au lieu de tirer de ces inductions le moindre secours, ils ne s’en trouvèrent que plus embarrassés.

Ils ignoraient complètement en effet quelles étaient les personnes qui possédaient ce pouvoir. La seule qui s’offrît à leur pensée, ce fut le propriétaire de Tom. Mais ils n’avaient aucun droit de l’interroger, quand bien même ils eussent pu le rejoindre, ce qui, au dire de Tom, n’était nullement aisé. Et en supposant qu’ils réussissent à lui poser des questions et qu’il voulût bien y répondre (ce qui était beaucoup dire), cet homme pouvait se borner à déclarer, quant à l’aventure du quai, qu’il était venu de tel ou tel endroit pour chercher Jonas rappelé par une affaire urgente ; tout eût été fini par là.

De plus, il y avait de grandes difficultés et une responsabilité non moins grande à pousser l’affaire plus loin. L’histoire de Lewsome pouvait être fausse ; dans l’état misérable où était ce jeune homme, son cerveau malade avait pu exagérer les faits ; en admettant même que son récit fût parfaitement vé-