Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/385

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— Eh bien ! après, s’ils éternuent ? dit Mme Gamp.

– Ça ne fait rien, dit Mme Prig, mais ne le niez pas, Sairah.

– Qui est-ce qui le nie ? » demanda Mme Gamp.

Mme Prig ne répondit pas.

« Qui est-ce qui le nie, Betsey ? » demanda de nouveau Mme Gamp.

En retournant ainsi la question, mistress Gamp lui donna un caractère plus solennellement grave et terrible :

« Betsey, qui est-ce qui le nie ? »

Un dissentiment très-marqué était sur le point d’éclater entre les deux dames ; mais l’impatience qu’éprouvait mistress Prig de se mettre à table l’emportait en ce moment sur son ardeur de controverse ; elle se contenta donc de répondre : « Personne ne le nie si vous ne le niez pas vous-même, Sairah, » et elle se disposa à prendre le thé. En effet, une querelle peut toujours se remettre indéfiniment, mais non pas un morceau de saumon.

La toilette de Betsey était très-élémentaire. Elle n’avait qu’à jeter son chapeau et son châle sur le lit et à donner deux petits coups à ses cheveux, l’un à droite, l’autre à gauche, comme si elle tirait deux cordons de sonnette, et le tour était fait. Le thé était déjà prêt ; Mme Gamp eut bientôt assaisonné la salade, et les amies ne tardèrent pas à être en plein exercice.

L’humeur des deux convives s’était radoucie, au moins pour quelque temps, au sein des plaisirs de la table. Lorsque le repas avança vers son terme (ce qui ne fut pas mal long) et que Mme Gamp eut desservi, la bonne dame tira la théière de la planche supérieure du buffet, avec une couple de verres à vin ; alors elles furent l’une et l’autre on ne peut plus aimables.

« Betsey, dit Mme Gamp en remplissant son propre verre, et passant ensuite la théière à son amie, je vais proposer un toast. À ma camarade de cœur Betsey Prig !

– Je l’accepte, dit Mme Prig, avec amour et tendresse, en changeant seulement le nom contre celui de Sairah Gamp. »

À partir de cet instant, des symptômes d’incandescence commencèrent à briller sur le nez de chacune de ces dames ; et peut-être même aussi dans leur humeur, malgré toutes les apparences contraires.

« Maintenant, Sairah, dit Mme Prig faisant marcher les