Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/386

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affaires avec le plaisir, quelle peut-être la besogne pour laquelle vous réclamez mon concours ? »

Mme Gamp laissant percer sur sa physionomie une certaine intention de répondre d’une manière évasive, Betsey ajouta :

« S’agit-il de mistress Harris ?

– Non, Betsey Prig, pas du tout.

– Eh bien, dit Mme Prig avec un petit sourire, j’en suis ma foi contente.

– Pourquoi donc en seriez-vous contente, Betsey ? répliqua chaudement Mme Gamp. Puisque vous ne la connaissez que par ouï-dire, pourquoi seriez-vous contente de ne pas la voir ? Si vous avez quelque chose à énoncer contre le caractère de Mme Harris, qui ne peut, à ma connaissance, être attaquée ni par devant ni par derrière, ni autrement, ne craignez pas de vous exprimer à haute voix et franchement, Betsey. J’ai connu cette femme, la plus douce, la meilleure de toutes les créatures, continua Mme Gamp en secouant la tête et versant des larmes, je l’ai connue bien avant son premier ; à telle enseigne que M. Harris, qui n’avait pas plus de cœur qu’une poule intimidée, s’enfuit pour ne rien entendre dans la niche du chien qui n’y était pas, et ne voulut ni déboucher ses oreilles ni sortir qu’on ne lui eût montré le poupon, lequel fut saisi de coliques ; mais le docteur le prit par le cou et l’étendit sur le carreau, et l’on dit à la mère de se rassurer, car les cris de l’enfant étaient sonores comme des tuyaux d’orgue. Et je l’ai connue encore, Betsey Prig, quand son mari a blessé les sentiments de son cœur en disant de son neuvième que c’en était un de trop, sinon deux, tandis que ce cher petit innocent roucoulait et prospérait quoique bancal ; mais je ne vois pas, Betsey, que vous ayez sujet de dire que vous soyez enchantée que mistress Harris ne vous appelle pas. Jamais de la vie elle ne vous appellera, comptez là-dessus ; car dans ses indispositions elle a et aura toujours à la bouche ces mots : « Qu’on aille chercher Sairey ! »

Pendant ce plaidoyer pathétique, Mme Prig, feignant habilement d’être le jouet de cette distraction causée par l’attention excessive qu’on prête à un sujet de conversation, attirait insensiblement à elle la théière. Mme Gamp, de son côté, observait ce manège, et en conséquence elle eut soin d’y mettre promptement bon ordre.

« Eh bien ! dit froidement Mme Prig, puisqu’il n’est pas question d’elle, de qui ou de quoi s’agit-il alors ? »