Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce coup fut tellement violent et subit, que Mme Gamp resta comme clouée sur son fauteuil sans rien voir, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte comme pour reprendre haleine. Pendant ce temps, Betsey Prig avait remis son chapeau, et elle était en train de fixer son châle autour de sa taille. Alors Mme Gamp, prenant son élan au moral comme au physique, l’apostropha ainsi :

« Eh quoi ! misérable créature, aurai-je donc connu mistress Harris depuis trente-cinq ans, pour finir par m’entendre dire qu’il n’existe personne de ce nom ? Serai-je restée son amie au milieu de tous les chagrins, grands ou petits, pour en arriver à une déclaration pareille, que dément son charmant portrait suspendu ici devant vos yeux comme pour faire honte à vos paroles impudentes ? Mais vous avez bien raison de croire qu’une telle créature n’existe pas, car elle ne s’abaisserait point à prendre garde à vous, et souvent elle m’a dit, quand je vous nommais, ce que j’ai fait bien à tort et que j’en ai de regret : « Quoi ! Sairah Gamp ! vous vous ravalez jusqu’à cette femme ! » Allons, partez !

– Je pars, madame. Voyez plutôt ! dit Mme Prig, qui s’arrêta en parlant ainsi.

– Vous faites bien, madame, dit mistress Gamp.

– Savez-vous à qui vous parlez, madame ? demanda la visiteuse.

– Apparemment, madame, dit mistress Gamp, la toisant avec dédain, de la tête aux pieds. Je parle à Betsey Prig. C’est probable. Je la connais. Personne ne la connaît mieux que moi. Allez, partez !

– Et vous vouliez me prendre sous votre protection ! s’écria Mme Prig, toisant à son tour Mme Gamp. Vous vouliez, vous ! … Oh ! c’était trop de bonté. Eh bien ! que le diable emporte votre protection… ajouta Mme Prig ? passant de la raillerie à un ton féroce. A-t-on jamais vu ?

– Allons, partez ! dit Mme Gamp. Je rougis pour vous.

– Vous feriez mieux de rougir un peu pour vous-même, tandis que vous y êtes ! dit Mme Prig. Vous et tous vos Chuffey. Ah ! ah ! ce pauvre vieux n’était donc pas déjà assez fou ?

– Il le deviendrait bientôt assez, dit Mme Gamp, si vous aviez quelque chose de commun avec lui.

– Et c’est pour cela qu’on m’appelait, n’est-ce pas ? s’écria Mme Prig d’un accent de triomphe. Oui, mais vous serez déçue.