Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/396

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plausible de s’approcher de lui, elle restait là tout agitée, autour de lui, sa petite main timide posée sur l’épaule de son frère, sans pouvoir se décider à la retirer, et elle témoignait ainsi qu’elle avait sur le cœur une confidence qu’elle avait bien envie de lui faire, sans en avoir le courage.

C’est ainsi qu’ils étaient assis ce soir-là, Ruth avec son ouvrage devant elle, mais sans travailler, et Tom avec son livre devant lui, sans lire, quand Martin frappa à la porte. Devinant qui ce pouvait être, Tom alla lui ouvrir, et il rentra dans la chambre, accompagné de Martin. Tom paraissait surpris : car, en échange de son accueil cordial, Martin avait proféré à peine une parole.

Ruth s’aperçut également qu’il y avait dans l’attitude de leur visiteur quelque chose d’étrange, et elle leva un regard interrogateur sur le visage de Tom, comme pour y chercher une explication. Tom secoua la tête et adressa à Martin le même appel muet.

Martin, sans s’asseoir, alla vers la fenêtre et s’y tint à regarder dehors. Au bout de quelques moments, il se retourna pour parler ; mais aussitôt, et sans avoir rien dit, il détourna de nouveau la tête.

« Qu’est-il arrivé, Martin ? demanda Tom avec anxiété. Mon cher camarade, quelle mauvaise nouvelle nous apportez-vous donc ?

– Ô Tom, répondit Martin d’un ton d’amer reproche, vous entendre feindre cet intérêt pour ce qui peut m’arriver, c’est quelque chose de plus pénible encore pour moi que votre conduite déloyale.

– Ma conduite déloyale ! Martin ! … ma… »

Tom ne put rien ajouter de plus.

« Comment, Tom, avez-vous pu me laisser vous remercier avec tant d’ardeur et de sincérité pour votre amitié, au lieu de me dire, en honnête homme, que vous m’aviez abandonné ! Est-ce là de la sincérité, Tom ? Est-ce là de la franchise ? Est-ce digne de l’amitié que vous m’aviez prouvée jusqu’ici ? Comment avez-vous pu, lorsque vous vous étiez déjà tourné contre moi, m’engager à vous ouvrir mon cœur ? Ô Tom ! Tom ! »

Son accent témoignait d’un si cruel déplaisir, et en même temps d’un tel regret pour la perte d’un ami dans lequel il avait placé sa confiance ; il exprimait tant de vieille affection pour Tom, et tant de chagrin et de compassion pour son indignité supposée, que celui-ci mit un moment sa main devant