Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/397

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son visage, comme s’il se reconnaissait atteint et convaincu d’être un monstre d’ingratitude et de fausseté.

« Je vous proteste, dit Martin, et que je meure si je mens, que je pleure surtout la perte de l’homme que j’avais cru connaître en vous, et que c’est sans aucun sentiment de colère que je songe à ma propre injure. C’est seulement en face de pareilles épreuves, de si cruelles découvertes, que nous apprécions toute la mesure de notre amitié d’autrefois pour celui qui nous l’avait inspirée : car je ne vous l’ai pas assez fait voir, c’est vrai ; je me reproche de ne pas vous l’avoir assez témoignée ; mais enfin je vous jure que, même à l’époque où je vous montrais le moins de considération, Tom, je vous aimais comme un frère. »

Pendant que Martin parlait ainsi, Tom s’était remis, et il eût pu représenter l’Esprit de Vérité dans son costume le plus simple (très-souvent l’Esprit de Vérité porte un costume très-simple, grâce à Dieu ! ) quand il répondit en ces termes :

« Martin, j’ignore ce que vous voulez dire ; j’ignore ce qui a pu égarer votre esprit et les étranges raisons que vous croyez avoir de me traiter ainsi ; mais elles sont fausses, sur ma parole. Il n’y a pas l’ombre de vérité dans l’impression dont vous paraissez accablé. C’est une illusion d’un bout à l’autre, et je vous prédis que vous regretterez profondément l’injure que vous me faites. Je puis dire, le visage levé, que j’ai toujours été droit et sincère envers vous comme envers moi-même. Vous verrez que vous en serez fâché. Oh ! oui, vous en serez bien fâché, Martin.

– Je le suis déjà, répliqua Martin secouant la tête. Jusqu’à présent je ne savais pas ce que c’était que le chagrin.

– Au moins, dit Tom, quand j’aurais toujours été ce que vous m’accusez d’être maintenant ; quand je n’aurais jamais occupé une place dans votre estime ; quand, au contraire, j’eusse été toujours l’objet de votre mépris et d’un mépris mérité, vous devriez du moins me dire en quoi vous m’avez trouvé déloyal et sur quel fondement vous appuyez vos accusations. En conséquence, je ne sollicite pas de vous, Martin, cette satisfaction comme une faveur, mais je vous la demande comme un droit.

– Mes propres yeux sont mes témoins, répondit Martin. Dois-je les croire ?

– Non, dit Tom avec calme, non, s’ils m’accusent.

– Mes témoins, ce sont vos paroles, c’est votre conduite. Dois-je les croire ?