Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/398

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— Non, répéta Tom avec le même calme, non, si elles m’accusent. Mais elles ne m’ont jamais accusé. Quiconque les a interprétées d’une manière aussi odieuse m’a outragé presque aussi cruellement que… vous l’avez fait. »

Ici, son calme l’abandonna.

« Je suis venu, dit Martin, pour en appeler à votre bonne sœur, et je veux qu’elle m’entende…

– Pas à elle ! interrompit Tom ; n’en appelez pas à elle, je vous prie ! Elle ne vous croirait pas. »

Et en même temps il passa dans son bras celui de Ruth.

« Eh bien ! au contraire, je le crois ! … dit la jeune fille.

– Non, non, s’écria Tom, ne dites pas cela. Je sais bien que ce n’est pas vrai. Chut ! chut ! Êtes-vous assez nigaude !

– Je n’ai jamais songé à en appeler à vous contre votre frère, dit vivement Martin. Ne me croyez pas assez dur, assez cruel pour cela. Seulement, je vous invitais à entendre la déclaration suivante : Je ne suis pas venu ici pour faire des reproches (je n’en ai pas à faire) ; c’était uniquement pour exprimer mon profond regret. Vous ne pouvez savoir combien il est amer, car vous ne savez pas combien de fois j’ai pensé à Tom ; combien de fois, au milieu des circonstances les plus critiques, je me suis promis de mieux apprécier son amitié, et vous ne savez pas la constante et suprême confiance que j’avais en lui.

– Chut ! chut ! dit Tom arrêtant sa sœur au moment où elle allait parler. Il se trompe ; il s’abuse. N’y faites pas attention. Soyez sûre qu’il finira par y voir clair.

– Dieu bénisse le jour qui m’ouvrira les yeux, s’écria Martin, si ce jour arrive jamais !

– Amen ! dit Tom. Ce jour arrivera. »

Martin garda quelques instants le silence ; puis il reprit d’une voix plus calme :

« C’est vous qui l’avez voulu, Tom, et vous serez bientôt consolé de notre séparation. D’ailleurs, elle se fera sans colère… de mon côté du moins.

– Ni du mien non plus, dit Tom.

– C’est tout simplement votre ouvrage, votre désir ; car, je le répète, c’est vous qui l’avez voulu. Vous avez voulu faire le choix que tout le monde aurait fait à votre place ; seulement, je ne m’y attendais pas de votre part. Peut-être dois-je en accuser plutôt mon propre jugement que votre perfidie. D’un côté, la richesse et la faveur qui méritent bien quelque consi-