Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/399

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dération ; de l’autre, l’amitié sans prix d’un malheureux abandonné à des luttes pénibles. Vous étiez libre de choisir ; vous l’avez fait, et ce choix n’était pas difficile. Mais ceux qui n’ont point le courage de résister à de telles tentations devraient du moins avoir la force d’avouer qu’ils y ont cédé ; et si je vous blâme, Tom, c’est de m’avoir accueilli avec de chaudes démonstrations, de m’avoir encouragé à être franc et ouvert avec vous, de m’avoir poussé à vous faire des confidences, d’avoir professé que vous étiez tout à moi quand vous vous étiez vendu à d’autres. Je ne pense pas, ajouta Martin avec une vive émotion (écoutez bien : ce que je vous dis là part du cœur) ; je ne puis penser, Tom, maintenant que je suis en face de vous, qu’il soit dans votre caractère d’avoir voulu me faire un mal sérieux, quand bien même je n’eusse pas découvert, par hasard, au service de qui vous vous êtes mis. Mais je vous aurais embarrassé ; je vous aurais induit à plus de duplicité encore ; j’aurais pu vous faire perdre cette faveur que vous avez payée si cher au prix de votre ancienne honnêteté ; et pour tous deux il est heureux que j’aie découvert ce que vous désiriez tant tenir secret.

« Soyez juste, dit Tom, qui depuis le commencement de cette dernière interpellation n’avait point détourné du visage de Martin son regard plein de douceur ; soyez juste même dans votre injustice, Martin. Vous oubliez que vous ne m’avez pas dit encore de quoi vous m’accusez.

– À quoi bon ? … répliqua Martin en agitant la main et se tournant vers la porte. Vous n’en sauriez pas davantage quand bien même je m’appesantirais sur ce sujet ; et cela ne servirait qu’à renouveler mes regrets. Non, Tom. Le passé restera le passé entre nous. Je puis prendre congé de vous en ce moment, en ce lieu (où vous vous montrez si aimable et si bon), aussi cordialement, sinon aussi gaiement que nous ayons jamais pu le faire depuis le premier jour où nous nous y sommez rencontrés. Mille prospérités, Tom… Je…

– Vous me quittez ainsi ? Vous pouvez me quitter ainsi ? … dit Tom.

– Je… vous… vous l’avez voulu, Tom ! Je… j’aime à croire que vous avez agi sans réflexion, dit Martin d’une voix mal assurée. Je le crois… J’en suis sûr ! … Adieu ! … »

Et le voilà parti.

Tom conduisit sa petite sœur jusqu’à sa chaise, et il s’assit sur la sienne. Il prit son livre et lut, ou fit semblant de lire.