Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/400

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Alors il dit tout haut en tournant une page : « Il en sera bien fâché ! » Et une larme coula le long de son visage et tomba sur le feuillet.

Ruth vint s’agenouiller devant lui et jeta ses bras autour du cou de son frère.

« Non, Tom ! non, non ! Remettez-vous, cher Tom !

– Je suis tout à fait… remis, dit Tom. Cela s’éclaircira.

– Quelle scène cruelle ! quelle ingratitude ! s’écria Ruth.

– Non, non, dit Tom. Il est convaincu ; je ne puis comprendre pourquoi ni comment. Mais cela s’éclaircira. »

Cependant Ruth se pressait plus encore contre lui, et elle se mit à pleurer comme si son cœur allait se briser.

« Ne pleurez pas, ne pleurez pas, dit Tom. Pourquoi cachez-vous votre visage, ma chérie ? »

Alors, au milieu d’un flot de larmes s’échappèrent ces paroles :

« Ô Tom, cher Tom, je connais le secret de votre cœur. Je l’ai découvert ; vous ne pouvez me dérober la vérité. Pourquoi ne me le disiez-vous pas ? Je suis sûre que je vous eusse rendu plus heureux si vous l’aviez fait. Vous avez pour elle un amour tendre, Tom ! »

Tom fit avec sa main un mouvement, comme s’il eût voulu repousser sa sœur. Mais cette main pressa celle de sa sœur avec tant de vivacité, que toute l’histoire de son amour était là ; dans cette étreinte silencieuse il y avait toute l’éloquence de la passion.

« Malgré cela, dit Ruth, vous avez été si fidèle et si bon, mon cher frère ; malgré cela, vous avez été si franc et si désintéressé, vous avez si bien lutté contre vous-même ; malgré cela, vous avez été si doux, si sincère, si modeste, que je ne vous ai jamais vu lancer à votre rival un seul regard de reproche, que je ne vous ai pas entendu dire une seule parole irritante. Et pourtant vous avez été cruellement méconnu ! Ô Tom, cher Tom, vous qui êtes aimé comme jamais frère ne l’a été, ne serez-vous jamais heureux aussi de ce côté, dites, Tom ? Garderez-vous toujours ce chagrin dans votre cœur, vous qui méritez tant d’être heureux ? ou bien y a-t-il pour vous quelque espérance ? »

Et de nouveau elle approcha son visage de celui de Tom, et lui enlaça le cou, et pleura sur le sort de son frère, et versa tout son cœur et toute son âme de femme dans le soulagement et l’amertume de cette découverte.