Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/403

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son fiancé. Tout s’éclaircira par elle, et il en aura un profond regret. Notre secret, Ruth, nous appartient ; il doit vivre et mourir avec nous. Je ne crois pas que j’eusse jamais pu vous l’avouer, ajouta Tom avec un sourire ; mais combien je suis heureux que vous l’ayez découvert ! … »

Jamais ils n’avaient fait ensemble une promenade aussi agréable que le fut celle de ce soir-là. Tom contait tout à sa sœur avec tant de franchise et de simplicité, il témoignait tant de désir de payer sa tendresse par la plus entière confiance, que le frère et la sœur prolongèrent leur excursion bien au delà de l’heure accoutumée, et restèrent longtemps encore à veiller après leur retour au logis. Lorsqu’ils se séparèrent pour le reste de la nuit, il y avait sur les traits de Tom une expression si calme et si belle, que Ruth ne put se décider à s’enfermer tout de suite, mais que, retournant sur la pointe du pied jusqu’à la porte de la chambre de son frère, elle regarda à l’intérieur et resta sur le seuil jusqu’à ce que Tom la vît ; alors elle l’embrassa de nouveau, puis enfin se retira. Et dans ses prières et dans son sommeil, le vrai moment des fervents souvenirs pour un être aimant, toujours le nom de Tom revenait à sa pensée.

Une fois seul, Tom se mit à méditer sur la découverte de Ruth, et il se demanda avec un profond étonnement comment la jeune fille avait pu deviner cela. « Car, se disait-il, j’avais gardé si soigneusement mon secret ! C’était absurde à moi, c’était inutile, je le vois clairement à présent, puisque la connaissance qu’elle en a me cause un si grand soulagement ; mais enfin, je le lui avais caché avec tant de soin ! Naturellement je la savais intelligente et vive, et c’est pour cela que je me tenais si bien sur mes gardes ; mais je ne me serais jamais, le moins du monde, attendu à cela. Je suis sûr que ça lui est venu comme ça tout d’un coup. En vérité, c’est un exemple bien étrange de pénétration ! … »

Tom ne pouvait pas s’ôter cela de la tête ; il y pensait encore en la posant sur l’oreiller.

« Comme elle tremblait, pensa Tom, passant en revue les plus petites circonstances, comme elle tremblait quand elle commença à me dire qu’elle savait ce secret, et comme son visage était coloré ! Mais c’était naturel, oh ! oui, bien naturel. Cela n’a pas besoin d’explication. »

Tom ne se doutait guère combien c’était naturel. Tom ne se doutait pas qu’il y eût dans le cœur de Ruth, depuis peu de