Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/404

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temps, quelque chose qui avait aidé la jeune fille à lire dans le secret de son frère. Ah ! le pauvre Tom ! il n’avait pas compris les chuchotements de la Fontaine du Temple, bien qu’il passât devant chaque jour.

Le lendemain matin, il fallait voir comme Ruth était vive et de bonne humeur à la besogne ; rien que son toc toc matinal à la porte de Tom, et le bruit de ses petits pas, c’était déjà une musique bien agréable pour l’oreille de son frère, quand même Ruth n’aurait pas parlé. Mais elle parla ; elle lui dit qu’il faisait la plus belle matinée qu’elle eût jamais vue : c’était la vérité ; d’ailleurs, ce n’aurait pas été vrai, qu’elle en eût toujours fait une matinée charmante pour lui.

Déjà elle avait apprêté le déjeuner quand il descendit ; déjà le chapeau était tiré du carton pour la promenade matinale, et Ruth avait tant de nouvelles à raconter, que Tom en était tout stupéfait. Il fallait donc qu’elle fût restée sur pied toute la nuit à en faire collection, pour faire plaisir à son frère ! C’était M. Nadgett qui n’était pas encore rentré ; c’était le pain qui avait baissé de deux sous ; c’était le thé qui était deux fois plus fort que le précédent ; c’était le mari de la laitière qui était sorti guéri de l’hôpital ; c’était l’enfant aux cheveux bouclés de la maison d’en face, qui, la veille, avait été perdu durant toute la journée ; c’étaient toutes sortes de confitures que Ruth allait faire avec une ardeur héroïque, et, par bonheur, il y avait dans la maison un chaudron qui se trouvait faire tout juste l’affaire ; elle savait par cœur le dernier livre que Tom avait apporté à la maison, quoique ce fût un livre bien ennuyeux. Enfin, elle en avait tant à dire, que le déjeuner fut achevé avant le chapitre de ses confidences. Alors elle se coiffa de son petit chapeau, serra le thé et le sucre, mit les clefs dans son sac, attacha, comme de coutume, une fleur à la boutonnière de Tom, et se trouva toute prête à l’accompagner, avant même qu’il sût qu’elle avait commencé ses préparatifs. En résumé, comme le dit Tom avec un air de confiance et de persuasion intime qui ressemblait à un défi lancé au genre humain, jamais on n’avait vu semblable petite femme.

Ce n’est pas tout : elle rendait Tom lui-même causeur. Et comment vouliez-vous qu’il lui résistât ? Elle lui faisait des questions si intéressantes, tantôt sur des livres, tantôt sur la date de telle église, tantôt sur les orgues, puis sur le Temple, puis sur mille sortes de choses ! Le fait est qu’elle illuminait le chemin (et le cœur de Tom par la même occasion) d’un tel