Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/405

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rayon d’entrain et de gaieté, que le Temple sembla à Tom tout vide et tout désert, quand à la porte il lui fallut se séparer de Ruth.

« L’ami de M. Fips n’est pas arrivé encore aujourd’hui, je suppose, » pensa Tom, tout en gravissant l’escalier.

En effet, il n’était pas encore arrivé, car la porte était close comme à l’ordinaire, et Tom l’ouvrit avec sa clef. Tom avait rangé les livres dans un ordre parfait, raccommodé les pages déchirées, recollé les dos cassés, et substitué des étiquettes neuves à celles qui étaient devenues illisibles. On n’aurait plus reconnu l’appartement, tant il y régnait d’ordre et de propreté. Il éprouva un certain orgueil à contempler les changements dont il avait l’honneur, bien qu’il n’y eût là personne pour les approuver ou les critiquer.

Il était donc occupé pour le moment à tirer une magnifique copie de son brouillon de catalogue ; et, comme il avait suffisamment de temps devant lui, il apportait à ce travail, sur lequel il se concentrait, tout le soin ingénieux, toute l’application qu’autrefois il dépensait sur les cartes ou les plans dans le laboratoire de M. Pecksniff. C’était une vraie merveille de catalogue, car Tom songeait parfois qu’il gagnait trop facilement son argent, et il avait intérieurement résolu de verser sur ce monument bibliographique une partie du superflu de ses loisirs.

Ainsi, Tom s’escrima toute la matinée avec les plumes et la règle, le compas et la gomme élastique, et le crayon et l’encre noire, et l’encre rouge. Cela ne l’empêcha pas de penser beaucoup à Martin et à leur entrevue de la veille, et il se fût senti bien plus à l’aise s’il eût pu se résoudre à s’ouvrir sur ce sujet à son ami John pour lui demander son avis. Mais, outre qu’il savait la bouillante indignation que John en ressentirait, il se dit que son ami assistait Martin en ce moment dans une affaire de la plus haute importance, et que priver ce dernier d’un concours si précieux au milieu d’une telle crise, ce serait lui faire un tort très-grave.

« Je garderai cela pour moi, se dit Tom avec un soupir ; oui, je garderai cela pour moi. »

Et il se remit à la besogne, plus assidûment que jamais, avec les plumes et la règle, le compas et la gomme élastique, et le crayon et l’encre noire, et l’encre rouge, pour tâcher d’oublier.

Il y avait une heure au moins qu’il travaillait sans bouger,