Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des semaines et des mois. Vous le savez, j’ai souffert qu’il me traitât comme son outil, comme son instrument. Vous le savez, vous l’avez vu. J’en ai supporté dix mille fois autant que j’eusse pu en endurer si j’avais été le vieillard décrépit qu’il s’imaginait trouver en moi. Vous le savez. Je l’ai vu offrir son amour à Mary, vous savez cela. Qui peut le savoir mieux que vous, mieux que vous, mon brave et fidèle cœur ? Jour par jour, son âme vile s’est mise à nu devant moi, et pas une seule fois je ne me suis trahi. Jamais je n’eusse pu supporter une telle torture, si je n’avais pas eu devant moi la perspective de ce jour où nous voici enfin arrivés. »

Martin s’arrêta, même au milieu de son discours passionné s’il est permis d’appeler passion la résolution et la fermeté, pour presser de nouveau la main de Tom. Puis il dit avec une grande énergie :

« Fermez la porte, fermez la porte. Il ne tardera pas à me rejoindre, mais il pourrait arriver trop tôt. Le temps, ajouta le vieillard, dont les yeux et tout le visage rayonnaient tandis qu’il parlait, le temps des réparations est venu. Je ne voudrais pas pour des millions de pièces d’or que cet homme allât mourir ou se pendre auparavant. Fermez la porte ! … »

Tom obéit, sachant à peine s’il veillait ou s’il faisait un rêve.


CHAPITRE XXVI.
Qui jettera une nouvelle et plus brillante lumière au cœur même du mystère ; suite de l’entreprise de M. Jonas et son ami.


La nuit était arrivée où le vieux commis devait être livré à ses cerbères.

Au sein de ses préoccupations criminelles, Jonas n’avait pas oublié cela.

Il avait trop d’intérêt à se le rappeler, dans la situation d’esprit que lui avaient faite ses crimes, car c’était une des garanties qu’exigeait son salut. Un cri, un mot de la part du vieillard, si ce cri ou ce mot venait à tomber en un pareil moment dans des oreilles attentives, pouvait, comme l’étincelle, allumer la traînée de poudre du soupçon et perdre Jonas. La