Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dement, ni un cri, ni une parole : c’était un son qu’aucun des assistants n’avait jamais entendu ; et en même temps c’était l’expression la plus violente et la plus terrible que pût fournir la nature, des sentiments qui bouleversaient le cœur du coupable.

C’était donc pour cela qu’il avait commis ce meurtre ! pour cela qu’il s’était environné de périls, d’angoisses, de craintes innombrables ! Il avait caché son secret dans le bois, il l’avait enfoui et scellé profondément dans le sol sanglant, et ce crime s’élançait au moment le plus imprévu ; il franchissait l’espace et la distance ; il était connu de plusieurs, et il se proclamait lui-même par la bouche d’un vieillard qui, tout à coup, avait repris sa force et son énergie, comme par miracle, pour faire parler le crime contre son auteur !

Jonas appuya sa main sur le dossier d’un fauteuil et regarda les assistants. En vain essayait-il de mettre dans ce regard son dédain et son insolence habituels. Il cherchait à se retenir au fauteuil, et c’est à peine s’il en avait la force.

« Je connais ce drôle, dit-il en reprenant haleine à chaque mot et tendant vers Lewsome son doigt tremblant. C’est le plus grand menteur qui existe. Quelle est la dernière fable de son invention ? Ha ! ha ! vous faites à vous tous une drôle de collection. Un oncle en enfance ; plus enfant encore que mon père, son propre frère, ne l’était dans son extrême vieillesse, plus enfant que ne l’est Chuffey. Que diable me voulez-vous donc ? ajouta-t-il en regardant avec rage John Westlock et Mark Tapley (celui-ci était rentré avec Lewsome). Pourquoi venez-vous ici m’amener deux idiots et un gredin pour prendre ma maison d’assaut ? … Holà ! qu’on ouvre la porte ! qu’on me jette ces étrangers dehors !

– Et moi, cria M. Tapley en s’avançant, je vous dis que, si ce n’était par égard pour votre nom, je vous traînerais par les rues de mon autorité privée, et avec une seule main encore ! Oh ! oui, je le ferais ! Pas de bravades ! Ne me regardez pas avec cette effronterie ! … Maintenant, c’est à votre tour, monsieur, dit-il au vieux Martin. Faites tomber à genoux ce vagabond, ce meurtrier ! S’il veut du bruit, il n’en manquera pas ; car, aussi vrai qu’il tremble des pieds à la tête, je vais jeter par cette fenêtre une clameur qui fera accourir au moins la moitié de Londres. Allons, monsieur ! laissez-le me mettre à l’épreuve, et je vais lui faire voir si je suis homme à tenir parole. »