Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/421

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ma chambre, et elle m’a averti que c’était déjà commencé. Oui, oui, le crime a commencé le jour où je lui ai appris à trop bien convoiter ce que j’avais à lui laisser, le jour où mes leçons ont fait pour lui de ces espérances cupides la grande affaire de sa vie. » Telles furent ses paroles, oui, ce furent exactement là ses paroles ! Si l’on peut lui reprocher d’avoir été par-ci par-là un homme âpre au gain, il ne le fut que pour son fils unique. Il aimait son fils unique, et fut toujours bon pour moi ! »

Jonas écoutait avec une attention croissante. L’espoir rentrait dans son cœur.

Le vieux commis poursuivit ainsi en s’essuyant les yeux :

« Je ne veux pas, ajouta mon maître, qu’il soupire après ma mort. » Oui, c’est bien là ce qu’il dit ensuite, en pleurant comme un petit enfant. « Je ne veux pas qu’il soupire après ma mort, Chuffey. Je veux qu’il en jouisse dès à présent, et qu’il se marie à sa guise, Chuffey, quoique je n’approuve pas son choix ; et alors, nous nous en irons, vous et moi, vivre ensemble d’un petit revenu. Je l’ai toujours aimé ; peut-être alors m’aimera-t-il aussi. C’est une chose effroyable de voir que mon propre fils ait soif de ma mort. Mais j’aurais dû m’y attendre : j’ai semé et je dois récolter. Je veux lui laisser croire que j’ai bu cette drogue ; et, quand je verrai qu’il en a du regret et qu’il possède tout ce qu’il désire, je lui dirai que j’avais tout découvert, et que je lui pardonne. Peut-être, Chuff, élèvera-t-il mieux son fils qu’il n’a été élevé lui-même, peut-être deviendra-t-il meilleur ! … »

Le pauvre Chuffey s’arrêta pour essuyer de nouveau ses yeux. Le vieux Martin avait caché son visage entre ses mains. Jonas écoutait plus attentivement que jamais, et sa poitrine haletait comme une onde soulevée, mais c’était d’espérance : l’espérance grandissait dans son cœur.

« Le lendemain, reprit Chuffey, mon cher vieux maître fit croire qu’il avait ouvert par méprise le tiroir avec une clef du trousseau qui allait par hasard à la serrure (nous en avions fait faire une autre tout exprès que nous avions mise à l’anneau), et qu’il avait été très-surpris de trouver là sa potion supplémentaire toute préparée, mais qu’il avait supposé que la fiole avait été posée là dans un moment de presse, pendant que le tiroir était ouvert. Nous l’avions jetée dans les cendres ; mais le fils crut que son père l’avait prise : il sait bien qu’il le crut. Une fois M. Chuzzlewit, pour l’éprouver, se risqua