Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/438

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— Monsieur, répondit Mark, sans perdre un atome de sa tranquillité, je l’ai servi dans de telles circonstances, et nous avons été compagnons dans de telles misères, que, j’en suis sûr, il ne croirait jamais un mot de cela. Et vous ne le croyez pas plus que lui, monsieur.

– Voulez-vous m’aider à m’habiller et me faire servir à déjeuner par les gens de l’hôtel ?

– Avec plaisir, monsieur.

– Et en attendant, continua Martin, voulez-vous me faire le plaisir de rester dans la chambre, de vous tenir à côté de la porte et de recevoir les visiteurs quand ils viendront y frapper ?

– Certainement, monsieur.

– Vous ne jugerez point nécessaire de manifester de surprise à leur vue.

– Oh ! mon Dieu ! non, monsieur, pas du tout. »

Quoique Mark fît cette promesse avec un aplomb parfait, il n’en était pas moins en ce moment même dans un état de stupéfaction visible. Martin parut s’en apercevoir et se rendre compte de l’expression comique des traits de M. Tapley en face de ces circonstances étranges : car, en dépit de la gravité de sa voix et de sa physionomie, une sorte de sourire vague flotta plusieurs fois sur sa figure. M. Tapley cependant se mit en devoir d’exécuter les commissions dont il était chargé, et ne tarda pas à perdre toute marque apparente d’étonnement, pour s’occuper lestement de sa besogne.

Lorsqu’il eut mis en ordre les habits de M. Chuzzlewit, et quand ce gentleman eut fait sa toilette et se fut assis pour déjeuner, les sentiments de surprise qu’éprouvait M. Tapley revinrent l’assaillir avec violence. Debout près du vieillard, une serviette sous le bras (il n’était pas plus embarrassé d’être sommelier au Temple qu’il ne l’avait été de s’improviser cuisinier volontaire sur le Screw), il ne pouvait résister à la sensation de jeter sans cesse sur Martin des regards à la dérobée. Et non-seulement il ne pouvait s’en empêcher ; mais il céda volontiers si souvent à la tentation, que Martin le surprit en flagrant délit une cinquantaine de fois. M. Tapley faisait faire à son visage des exercices extraordinaires quand il lui arrivait d’être attrapé. Il se mettait tout à coup à se frotter les yeux, ou le nez, ou le menton ; ou bien il paraissait se plonger avec un air de haute sagesse dans les pensées les plus profondes ; ou bien il prenait soudain un très-vif intérêt aux