Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/441

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Cette réponse parut calmer l’inquiétude du questionneur. M. Pecksniff joignit les mains, et levant les yeux au ciel avec une joie pieuse, il exprima silencieusement sa reconnaissance ; puis il promena son regard sur l’assemblée, et secoua la tête d’un air de reproche. Pour un homme si doux, ce regard était sévère, très-sévère.

« Ô vermine ! dit M. Pecksniff. Ô suceurs de sang ! N’est-ce pas assez que vous ayez abreuvé d’amertume l’existence d’un homme qui n’a pas son pareil dans les annales biographiques des gens de bien ! Faut-il maintenant, maintenant encore, lorsqu’il a fait son choix, lorsqu’il a mis sa confiance en un humble parent qui, du moins, est sincère et désintéressé, faut-il maintenant, vermine, vile fourmilière (je regrette d’employer ces expressions énergiques, mon cher monsieur, mais il est des moments ou une vertueuse indignation doit se donner carrière) ; faut-il maintenant, vermine, vile fourmilière (car je veux répéter ces mots), qu’abusant de sa faiblesse, vous veniez fondre sur lui de tous côtés, comme des renards et des vautours et autres animaux de la gent emplumée, réunis autour (je ne dirai pas autour d’une charogne, ou d’une carcasse, car M. Chuzzlewit est tout le contraire), mais autour de leur proie, oui, de leur proie, pour la déchirer et la dépouiller, pour gorger leur panse vorace et souiller leurs becs tranchants par toute espèce de régal carnivore ! … »

Obligé de s’arrêter là-dessus pour reprendre haleine, il fit de la main un geste solennel pour leur montrer la porte, puis il ajouta :

« Horde de pillards et de voleurs dénaturés, laissez-le ! laissez-le, vous dis-je ! sortez ! allez vous cacher ! vous n’avez rien de mieux à faire que de vous sauver ! Continuez d’errer sur la surface de la terre, mes jeunes messieurs, comme des vagabonds que vous êtes, et n’ayez pas l’audace de rester dans un lieu sanctifié par les cheveux gris de l’honorable patriarche qui, dans sa débilité, m’a fait l’honneur à moi, son ami indigne, mais du moins désintéressé, de m’accepter pour soutien et pour bâton de vieillesse. Et vous, mon bon monsieur, dit M. Pecksniff s’adressant directement au vieillard avec un ton de doux reproche, comment avez-vous pu vous décider à me quitter, fût-ce pour ce court laps de temps ? Je ne doute pas que vous ne vous soyez absenté pour me ménager quelque surprise agréable : Dieu vous en récompense ! Mais il ne fallait pas aller ainsi courir les aventures. Vraiment, je