Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/443

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« Voyez ! … dit le vieillard en le montrant du doigt et faisant appel aux assistants ; voyez ! et puis… venez ici, mon cher Martin… voyez ! voyez ! voyez ! »

Et chaque fois qu’il répétait ce mot, il pressait plus étroitement son petit-fils contre son cœur.

« Martin, dit-il, tu peux juger, par le coup que je viens de frapper, de la violence de la colère que j’éprouvais, du temps que j’étais obligé de me retenir. Pourquoi nous sommes-nous jamais séparés ? comment avons-nous pu nous quitter ? comment avez-vous pu m’abandonner pour aller chez cet homme ? »

Le jeune Martin ouvrait la bouche pour répondre ; mais son grand-père l’arrêta et continua ainsi :

« La faute en fut à moi non moins qu’à vous ; Mark me l’a dit aujourd’hui, et je le savais depuis longtemps. Plût à Dieu que je m’en fusse douté plus tôt ! Mary, ma chère Mary, approchez. »

Comme elle tremblait et qu’elle était toute pâle, il la fit asseoir dans son propre fauteuil, et resta debout à côté d’elle, tenant une des mains de Mary, et ayant près de lui son petit-fils.

« La malédiction de notre maison, dit le vieillard en regardant la jeune fille avec tendresse, ç’a été l’égoïsme ; oui, toujours l’égoïsme. Combien de fois l’ai-je répété, sans jamais me douter que j’avais fait aussi peser le mien sur les autres ! »

Il passa sa main sous le bras de Martin et, se trouvant ainsi entre les deux jeunes gens, il poursuivit en ces termes :

« Vous savez tous que j’ai élevé cette orpheline pour me servir de compagne. Mais nul de vous ne peut savoir par quels degrés j’ai été amené à la considérer comme ma fille ; car elle en a acquis sur moi tous les droits par son abnégation, sa tendresse, sa patience, en un mot, par l’excellence de son caractère. Et pourtant le ciel m’est témoin que je ne me suis pas donné grand mal pour développer chez elle ces qualités. Elles ont fleuri sans culture et mûri sans soleil. Je ne puis trouver dans mon cœur la force de dire que j’en sois fâché ; car le drôle qui est là-bas relèverait la tête. »

M. Pecksniff plongea sa main dans son gilet et secoua légèrement cette partie de son être à laquelle il avait été fait allusion, comme pour témoigner qu’elle était encore assez droite pour qu’il n’eût pas besoin de la relever.