Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/445

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donner à la misère, je crois que je lui aurais désormais pardonné son odieux caractère : mais rien, rien, pas un mot ! Se faire le complaisant des plus mauvaises passions, telle était sa nature, et il a fidèlement rempli sa tâche !

– Je ne suis pas fâché, dit M. Pecksniff : je suis froissé, monsieur Chuzzlewit, je suis blessé dans mes sentiments, mais je ne suis pas fâché, mon bon monsieur. »

M. Chuzzlewit reprit :

« Une fois décidé à l’éprouver, je résolus de poursuivre l’épreuve jusqu’au bout ; mais, pendant que je m’abaissais à sonder cet abîme de duplicité, je pris avec moi l’engagement sacré de lui tenir compte aussi de la moindre lueur de bonté, d’honneur, de charité, de vertu enfin, qui viendrait à briller chez lui. Depuis le commencement jusqu’à la fin, il n’a montré rien de semblable, absolument rien. Et pourtant il ne peut pas dire que je ne lui en aie pas fourni l’occasion ; il ne peut pas dire que je ne l’aie pas sans cesse mis sur cette voie ; il ne peut pas dire que je ne l’aie pas laissé parfaitement libre en toute chose, et que je n’aie pas été entre ses mains un instrument passif pour le bien comme pour le mal, ou, s’il dit le contraire, il ment ! … car c’est encore dans sa nature.

– Monsieur Chuzzlewit, interrompit Pecksniff en versant des larmes, je ne suis pas fâché, monsieur ; je ne saurais être fâché contre vous. Mais ne m’avez-vous jamais, mon cher monsieur, exprimé le désir que ce jeune homme dénaturé, qui, par ses indignes artifices, a, pour ce moment, oui, pour ce moment seulement, faussé votre bonne opinion à mon égard, fût renvoyé de ma maison ? Recueillez vos souvenirs en bon chrétien, mon ami.

– Certainement je vous l’ai dit, répliqua rudement le vieillard. Je ne pouvais pas peut-être venir vous dire que je savais que vous l’aviez abusé par votre hypocrisie mielleuse, et je ne pouvais trouver de meilleur moyen pour lui dessiller les yeux que de vous montrer à lui dans toute la servilité de votre caractère. Oui, je vous exprimai ce désir, et vous ne vous l’êtes pas fait dire deux fois ; en une minute, vous retournant contre la main que votre langue venait de lécher, comme un vil chien que vous êtes, vous avez fortifié, confirmé et justifié ma résolution. »

M. Pecksniff fit une inclination de tête d’un air soumis, pour ne pas dire abject et rampant. Si on l’avait complimenté sur