Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la pratique des plus hautes vertus, il n’eût pas fait un salut plus humble.

« Le malheureux qui a été assassiné, continua M. Chuzzlewit, qui se faisait alors appeler… comment donc ?

– Tigg, souffla Mark.

– Oui, Tigg. Ce Tigg m’avait adressé des suppliques en faveur d’un sien ami, un membre indigne de ma famille. Trouvant en lui un homme tout à fait convenable pour mes projets, je l’employais à recueillir quelques nouvelles de vous, Martin. C’est de lui que je sus que vous étiez parti en compagnie du brave garçon que je vois là-bas. Ce fut lui qui, vous rencontrant à Londres, un soir… vous vous souvenez où ?

– Au mont-de-piété, dit le jeune Martin.

– Oui… vous suivit jusqu’à votre logis, et se mit à même de vous envoyer un billet de banque.

– Je pensai plus tard, dit le jeune homme avec émotion, que ce billet m’était venu de vous. Mais, pour le moment, je ne me doutais guère que vous prissiez intérêt à mon sort. Si je l’avais su…

– Si vous l’aviez su ! répliqua tristement le vieillard ; il aurait fallu pour cela que vous pussiez me juger plutôt d’après le fond de mon âme que d’après les apparences du rôle que je m’étais donné à moi-même. J’espérais, Martin, vous amener au repentir et à la soumission ; j’espérais vous réduire par le besoin à revenir à moi. Plus je vous aimais, moins je pouvais me décider à faire cet aveu, s’il n’était précédé de votre soumission. Ce fut ainsi que je vous perdis. Si j’ai indirectement participé au malheur de cet homme, en mettant à sa disposition quelques ressources bien limitées dont il a fait un si mauvais usage, que Dieu me le pardonne ! J’eusse dû prévoir qu’il mésuserait de cet argent, que mes dons étaient mal placés entre ses mains, et que pareille semence sur un pareil terrain ne pouvait engendrer que le mal. Mais, à cette époque, j’étais loin de croire qu’il eût en lui des dispositions déclarées et un si rare talent pour devenir un imposteur sérieux ; je ne voyais en lui qu’un dissipateur insouciant, paresseux, dissolu, plus coupable envers lui-même qu’envers les autres, un pilier de cabaret adonné à des goûts vicieux qui ne pouvaient entraîner personne dans sa ruine.

– Je vous demande pardon, monsieur, dit Mark Tapley, qui, pendant ce temps, s’était donné le plaisir de prendre Mme Lupin sous le bras ; je vous demande pardon si j’ai la