Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/448

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Alors le vieillard raconta comment il avait souvent espéré, au début, que l’amour pourrait naître entre Mary et Martin, et comment il s’était plu à penser qu’il en observerait les premiers symptômes, puis les mettrait à l’œuvre chacun de leur côté, en simulant des doutes sur leur constance avant de leur avouer que leur tendresse avait été douce à son cœur ; comment il avait espéré que, par sa sympathie pour eux et ses soins généreux pour leur jeune établissement, il se créerait à leur affection et à leurs égards un droit que rien ne viendrait affaiblir et qui assurerait le bonheur de ses vieux jours ; comment, à l’aube même de son projet, et quand le plaisir de ce plan pour leur félicité était encore chez lui vague et incertain, Martin était venu lui dire qu’il avait déjà fixé son choix, se doutant que son grand-père avait sur la jeune fille des idées peu arrêtées, mais sans savoir pour qui ; comment il avait été affligé d’apprendre que Martin avait choisi Mary de lui-même, parce que cela lui faisait perdre le mérite d’y avoir pensé le premier, et qu’en voyant Mary déjà liée de son côté par cet amour, il avait été torturé par l’idée que déjà, malgré leur jeunesse, ces deux enfants, dont il avait été le bienfaiteur si tendre, étaient semblables au reste du monde et uniquement occupés de leurs vues égoïstes et secrètes ; comment, dans l’amertume de cette impression et de son expérience du passé, oubliant qu’il n’avait jamais provoqué de confidences sur ce sujet, et confondant ce qu’il avait voulu faire avec ce qu’il avait fait, il avait adressé de si durs reproches à Martin, que tous deux avaient échangé des paroles violentes et s’étaient séparés en colère ; comment il avait continué d’aimer pourtant son petit-fils et d’espérer son retour ; comment, dans la nuit où il était tombé malade au Dragon, il avait pris la plume pour lui faire un adieu paternel, le constituer son héritier et sanctionner son mariage avec Mary ; comment enfin, après son entrevue avec M. Pecksniff, il avait repris sa méfiance envers son petit-fils, brûlé le testament, et s’était enfoncé dans son lit, en proie aux soupçons, au doute et aux regrets.

Il leur dit encore comment, résolu à sonder ce Pecksniff et à éprouver la constance et la fidélité de Mary (pour lui-même non moins que pour Martin), il avait conçu et médité son plan ; comment il s’y était affermi de plus en plus, en face de la conduite pleine de dignité et de patience de la jeune fille, de plus en plus en face de la bonté et de la simplicité, de la loyauté et de la franche droiture de Tom. Et en parlant de lui il s’écria :