Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/451

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Sentant (plutôt qu’il ne le vît) que le vieillard lui montrait en ce moment le chemin de la porte, il leva les yeux, ramassa son chapeau et adressa ainsi la parole au vieux Martin :

« Monsieur Chuzzlewit, monsieur ! Vous avez partagé mon hospitalité…

– Et je l’ai payée.

– Merci, dit M. Pecksniff tirant son mouchoir de poche. Ceci sent votre ancienne franchise familière. Vous l’avez payée. C’est ce que j’allais dire. Vous m’avez trompé, monsieur. Je vous remercie de nouveau. J’en suis content. C’est pour moi une récompense suffisante que de vous voir en pleine possession de la santé et de vos facultés intellectuelles. Avoir été trompé implique une nature confiante. Telle est en effet ma nature. J’en remercie le ciel. J’aime mieux avoir une nature confiante, monsieur, vous entendez, qu’une nature défiante. »

Ici M. Pecksniff, avec un sourire mélancolique, salua et s’essuya les yeux.

« Monsieur Chuzzlewit, continua Pecksniff, à peine y a-t-il une seule des personnes présentes par qui je n’aie été trompé. J’ai pardonné ici même à toutes ces personnes. C’était mon devoir, et, naturellement, je l’ai rempli. Maintenant, était-il digne de vous d’user de mon hospitalité, et de jouer dans ma maison le rôle que vous y avez joué, monsieur ? c’est une question que je livre à votre propre conscience. Et votre conscience ne vous absout pas. Non, monsieur, non ! »

Tout en prononçant ces derniers mots d’une voix haute et solennelle, M. Pecksniff n’était pas tellement absorbé par l’ardeur de ses convictions, qu’il ne jugeât à propos de se rapprocher un peu de la porte.

« J’ai, dit-il, été frappé aujourd’hui avec une canne, qui, j’ai quelque raison de le croire, est hérissée de nœuds ; j’ai été frappé sur cette partie délicate et précieuse du corps humain qu’on appelle le cerveau. D’autres coups, monsieur, ont été portés sans canne à une partie plus tendre de mon individu, c’est-à-dire mon cœur. Vous avez signalé, monsieur, la ruine de ma fortune. Oui, monsieur, je suis en faillite, je suis ruiné par suite d’une spéculation malheureuse où j’ai été victime de la friponnerie ; je me trouve réduit à la pauvreté, et cela au moment même, monsieur, où ma fille bien-aimée devient veuve et où le deuil et le déshonneur sont dans ma famille. »