Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/452

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Ici M. Pecksniff s’essuya de nouveau les yeux et s’appliqua deux ou trois petits coups sur la poitrine, comme pour répondre à autant de petits toctocs frappés en dedans par le marteau de sa conscience ; ce qui pourrait se traduire ainsi : « Courage, mon garçon ! »

« Je connais le cœur humain, et cependant j’ai confiance en lui : c’est là mon faible. Ne sais-je pas (ici il devint excessivement larmoyeur et parut diriger son regard vers Tom Pinch), ne sais-je pas que ce sont mes malheurs qui m’attirent ce traitement ? Ne sais-je pas, monsieur, que sans cela je n’eusse jamais entendu ce qu’il m’a fallu entendre aujourd’hui ? Ne sais-je pas que, dans le silence et la solitude de la nuit, une petite voix murmurera à votre oreille, monsieur Chuzzlewit : « Cela n’était pas bien. Cela n’était pas bien, monsieur ! » Pensez-y, monsieur, si vous daignez avoir cette bonté, quand vous ne serez plus sous l’empire des mouvements violents de la passion, et que vous vous serez dégagé des petitesses (si vous me pardonnez cette expression un peu vive)… des petitesses de vos préventions. Et si vous réfléchissez quelquefois, monsieur, au silence de la tombe, quoique j’aie bien peur, je vous en demande pardon, que vous ne le fassiez pas souvent ; si vous réfléchissez quelquefois au silence de la tombe, pensez à moi, monsieur. Si vous vous voyez un jour sur le bord de la tombe, monsieur, pensez à moi. Si vous désirez avoir une inscription gravée sur votre tombe silencieuse, monsieur, qu’elle dise que je… Ah ! monsieur, je plains d’avance vos remords ! que je… moi l’humble individu qui ai l’honneur d’approcher de vous… que je… vous ai pardonné ! que je vous ai pardonné lorsque l’injure était toute fraîche, et la plaie de mon cœur encore saignante. Il se peut qu’il vous soit amer d’entendre maintenant ce langage, monsieur ; mais ce sera un jour la consolation de votre vie. Puissiez-vous, monsieur, y trouver une consolation quand vous en aurez besoin ! Bonsoir ! »

Et, sur ce discours sublime, M. Pecksniff s’éloigna. Mais l’effet majestueux de sa sortie fut très-compromis par un choc presque immédiat que reçut l’orateur et qui faillit le faire tomber à la renverse. Celui qui l’avait poussé était un tout petit homme vêtu de velours et coiffé d’un grandissime chapeau. Il était horriblement agité, et, à la façon dont il avait grimpé l’escalier et dont il se rua dans la chambre de M. Chuzzlewit, on eût dit qu’il avait le cerveau détraqué.