Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/453

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« Y a-t-il iciquelqu’un qui le connaisse ? cria le petit homme. Y a-t-il ici quelqu’un qui le connaisse ? Ô mon Dieu, y a-t-il ici quelqu’un qui le connaisse ? »

Les assistants s’entre-regardaient, se demandant mutuellement une explication : mais tout ce qu’ils savaient, c’est qu’il y avait là un petit homme frénétique, coiffé d’un grandissime chapeau, et qui tour à tour s’élançait dans la chambre et en sortait brusquement, multipliant par la rapidité de ses mouvements en une douzaine de paires de bas d’un bleu éclatant la paire unique qu’il portait, et répétant sans cesse d’une voix aiguë :

« Y a-t-il ici quelqu’un qui le connaisse ?

– Si vous n’avez pas la cervelle sens dessus dessous, monsieur Sweedlepipe, s’écria une autre voix, voulez-vous bien finir votre tapage, je vous prie ? »

En même temps, Mme Gamp apparut sur le pas de la porte, elle était hors d’haleine d’avoir grimpé tant de marches, et soufflait d’une façon terrible ; cependant elle finit par pouvoir faire ses révérences à la compagnie.

« Faites excuse à la débilité de l’individu, dit Mme Gamp, toisant M. Sweedlepipe avec une vive indignation : j’aurais bien dû m’y attendre, naturellement ; et même que j’aurais voulu qu’il se noyât dans la Tamise avant de l’emmener ici : quand je pense qu’il n’y a pas plus d’une sainte heure qu’il a manqué de raser le nez du père d’une famille charmante où il est né trois fois des jumeaux, monsieur Chuzzlewit ! et qu’il l’aurait coupé, ni plus ni moins, si le gentleman n’avait pas vu dans son miroir à barbe comme ça allait, et détourné de la main le rasoir ! Et jamais, monsieur Sweedlepipe, je vous l’assure, jamais je n’ai si bien senti qu’aujourd’hui quel malheur c’est que de vous connaître, et je vous le dis, monsieur, et je ne veux pas vous tromper !

– Je vous demande pardon à tous, mesdames et messieurs, s’écria le petit barbier, ôtant son chapeau ; et à vous aussi, madame Gamp. Mais… mais… (ceci, il l’ajouta moitié en riant, moitié en pleurant) y a-t-il ici quelqu’un qui le connaisse ? »

Comme le barbier prononçait ces paroles, un je ne sais qui, en bottes à revers, avec le haut de la tête couvert d’un bandeau, s’avança en chancelant dans la chambre et se mit à tourner, tourner sur lui-même, sans se douter probablement qu’il ne marchait pas droit devant lui.