Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/458

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— Un endroit bien agréable, en vérité, dit la petite Ruth. Il y a tant d’ombre ! »

Malicieuse petite Ruth !

Ils s’arrêtèrent au moment où John commença cet éloge de sa chère fontaine. La journée était délicieuse, et, puisqu’ils avaient tant fait que de s’arrêter, il était naturel, on ne peut plus naturel, qu’ils allassent donner un coup d’œil à Garden-Court : car Garden-Court se termine au Parc, et le Parc finit à la rivière, et c’est d’un aspect si gai, si frais, si brillant, par un jour d’été ! Pourquoi alors, ô petite Ruth, ne pas regarder tout cela hardiment ? Que fait là, pendant qu’elle baisse les yeux, ce délicat, ce charmant, ce bon petit pied, à se farfouiller dans un coin craquelé de la dalle insensible du trottoir, comme s’il s’était chargé de la remettre à neuf ?

Si la matrone au visage enflammé et au chapeau bossué avait pu les voir comme cela dans leur promenade, je parie qu’elle aurait donné dix ans de sa vie pour être encore blanchisseuse au service de M. Westlock dans Furnival’s-Inn.

Ils continuèrent leur course ; mais n’allez pas croire que ce fût à travers les rues de Londres ; non, non, ils étaient transportés dans quelque ville enchantée, où le trottoir qu’ils foulaient aux pieds était d’air, où tout le rude tapage d’une cité remuante se changeait en une douce et suave musique, où tout parlait de bonheur, où il ne s’agissait ni de distance ni de durée.

Il y avait là deux garçons brasseurs, robustes et de joyeuse humeur, qui descendaient de leurs haquets dans une cave de gros barils de bière ; et, quand John aida Ruth à sauter par-dessus les cordes, ou plutôt enleva par-dessus cet obstacle la chose la plus légère, la plus souple, la plus mignonne que vous ayez jamais vue, ces deux indiscrets ne s’imaginèrent-ils pas de dire qu’il leur devait une fameuse chandelle, pour lui avoir procuré une si belle occasion ? Braves garçons brasseurs, que le bon Dieu vous bénisse !

Qu’il donne toujours aussi de verts pâturages dans la saison d’été, une épaisse litière de paille pendant l’hiver, et de l’avoine et du foin à discrétion, à ce noble cheval qui se mit à danser sur le pavé, avec son cabriolet par derrière, de manière à faire à Ruth si grand’peur qu’elle pressa le bras de John avec ses deux mains (ses deux mains qui se croisèrent l’une sur l’autre si tendrement ! ), en le suppliant de se sauver avec elle dans la boutique d’un pâtissier, d’où elle allait toute