Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/459

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tremblante regarder à la porte, l’interrogeant avec des yeux, mais des yeux… ah ! quels yeux ! pour lui demander s’il était sûr, bien sûr, qu’ils pussent maintenant continuer leur chemin sans danger ! … Oh ! que n’eût-il pas donné pour rencontrer encore une caravane de chevaux fringants, un lion, un ours, un taureau furieux, quoi que ce soit enfin qui pût engager Ruth à croiser une fois encore sur le bras de son cavalier ses petites mains l’une contre l’autre !

Ils se mirent à causer, bien entendu. Ils causèrent de Tom et de tous les changements qui étaient survenus, et de l’attachement que M. Chuzzlewit avait conçu pour Tom, et des brillantes perspectives qu’on pouvait fonder sur une telle amitié, et de bien d’autres choses dans le même genre. Plus ils causaient, plus cette craintive petite Ruth s’alarmait de la moindre pause ; plutôt que de laisser un intervalle de silence, Ruth eût plutôt répété vingt fois la même chose, et, si elle n’avait pas assez de courage et de présence d’esprit (à dire vrai, ce n’était pas son fort), elle en était dix mille fois plus charmante et plus irrésistible que jamais.

« Martin se mariera très-prochainement, je suppose, » dit John.

Elle le supposait aussi ; jamais petite femme si séduisante ne supposa quelque chose d’une voix aussi tremblante que celle dont Ruth faisait cette supposition.

Mais sentant venir encore une de ces pauses effrayantes, elle fit observer que M. Martin allait avoir une bien belle femme. N’est-ce pas, monsieur Westlock ?

« Ou… oui, dit John, oh ! oui. »

Elle craignait qu’il ne fût bien difficile à contenter, à voir la froideur avec laquelle il en parlait.

« Dites plutôt que je suis tout contenté d’avance, dit John, c’est à peine si je l’ai seulement aperçue. Je n’ai pas pris garde à elle. Je n’avais pas d’yeux pour elle, ce matin. »

Ô bonté divine !

Il était temps qu’ils arrivassent au terme de leur course. Ruth n’eût jamais pu aller plus loin. Il lui eût été impossible de marcher davantage, elle tremblait trop.

Tom n’était pas encore de retour. Ils entrèrent ensemble et seuls dans le parloir triangulaire. Ô matrone à la face enflammée, sévère matrone, que d’années tu eusses données volontiers en ce moment !

Ruth s’assit sur le petit sofa et dénoua les rubans de son