Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/460

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chapeau. John s’assit à côté d’elle, tout près d’elle, tout près, tout près. Ô petit cœur qui battait si vite, si vite, et qui te gonflait tout prêt à éclater, tu savais bien que ça finirait par là ; avoue-le, tu l’espérais. Pauvre cœur, pourquoi battre alors comme un petit fou ?

« Chère Ruth ! douce Ruth ! si je vous avais moins aimée, il y a longtemps que j’eusse pu vous dire que je vous aimais. Du premier jour que je vous vis, je vous aimai. Il n’y a pas au monde une créature aussi sincèrement aimée que vous l’êtes par moi, chère Ruth ! »

Elle pressa ses petites mains contre son visage. Des larmes de joie, d’orgueil, d’espérance et d’innocente affection, y coulèrent sans contrainte. C’était la réponse innocente que son jeune cœur, trop plein pour ne point déborder, envoyait à John.

« Mon cher amour ! si cet aveu ne vous est pas, comme je l’espère, pénible et désagréable, vous me rendez plus heureux que je ne saurais le dire et que vous ne sauriez vous l’imaginer. Adorable Ruth ! ma bonne, ma gentille, ma séduisante Ruth ! je me flatte de connaître le prix de votre cœur, de connaître le prix de votre caractère angélique. Laissez-moi essayer de vous le prouver, Ruth, et vous me rendrez plus heureux…

– Pas plus heureux, dit-elle en sanglotant, que vous ne me rendez heureuse. Ô John, il est impossible qu’il y ait de plus grand bonheur que celui que vous me faites ! »

Matrone au visage enflammé, vous n’avez qu’à chercher une place ! Voilà vos gages, et prenez vos huit jours. Tout est fini, matrone au visage enflammé. Vous n’avez que faire de vous tracasser en ce qui nous concerne.

Maintenant, les petites mains pouvaient se presser à l’aise sans qu’il fût besoin d’un cheval fringant pour les resserrer. Plus n’était besoin de lions, d’ours et de taureaux furieux. On pouvait se passer d’eux : les choses n’en allaient pas plus mal ; elles n’en allaient que mieux. Les garçons brasseurs avec leurs gros barils de bière n’étaient plus utiles pour servir d’excuse. Toute excuse était superflue. La main douce et légère se posait modestement, mais d’une façon tout à fait naturelle, sur l’épaule de l’amant : la taille délicate, la tête penchée, la joue empourprée, les beaux yeux, jusqu’à l’exquise petite bouche, tout était aussi naturel que possible. Tous les chevaux de l’Arabie eussent pu s’élancer à la fois, que les choses n’en auraient pas été mieux.