Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/46

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commandât le respect, était avide du pouvoir qui le procure ; au fond du cœur, il était aussi despote que l’a jamais été, dans l’histoire un conquérant couronné de lauriers.

Mais il résolut de procéder avec prudence et précaution, et d’étudier de près l’élégance apparente de l’intérieur de M. Montague : car ce vil coquin ne se doutait pas que Montague avait besoin de sa coquinerie, et que sans cela il ne l’eût pas invité à dîner, tandis que sa résolution était encore flottante ; il ne s’en doutait pas plus qu’il n’admettait la possibilité que ce puissant génie fût capable de l’attraper, en perçant d’un coup d’épingle l’outre de son puissant orgueil. Montague avait dit, au moment où ils se séparaient, que Jonas était trop fin pour lui ; et Jonas, qui était assez fin en effet pour se défier de tout ce qu’il aurait pu lui dire d’ailleurs, même en jurant ses grands dieux, crut à ce compliment sans hésiter.

Ce fut d’une main timide cependant, et avec un effort ridicule pour se donner des airs de rodomont, que Jonas frappa à la porte de son nouvel ami, dans Pall Mall, lorsque l’heure convenue fut arrivée. M. Bailey répondit vivement à l’appel. Il n’était pas fier, et n’aurait pas mieux demandé que de renouveler connaissance avec Jonas ; mais Jonas l’avait oublié.

« M. Montague est-il chez lui ?

– Je crois bien qu’il y est ! et il vous attend à dîner aussi, dit Bailey avec l’air d’aisance d’une ancienne connaissance. Voulez-vous garder votre chapeau ou le laisser ici ? »

M. Jonas préféra laisser son chapeau dans l’antichambre.

« C’est toujours votre ancien nom, je suppose ? » dit Bailey en ricanant.

M. Jonas le regarda avec une muette indignation.

« Tiens ! vous ne vous souvenez donc plus de la vieille mère Todgers ? demanda M. Bailey avec son trémoussement favori de genoux et de bottes. Vous ne vous souvenez donc pas que je vous annonçais aux jeunes demoiselles, quand vous veniez leur faire la cour ? Une fameuse baraque ! vous en souvenez-vous ? Les temps sont bien changés, n’est-ce pas ? À propos, savez-vous que vous avez fièrement grandi tout de même ! »

Sans attendre que Jonas le remerciât de ce compliment, Bailey conduisit le visiteur au premier, et, après l’avoir annoncé, il se retira avec un clignement d’œil d’intelligence familière.

Le rez-de-chaussée de la maison était occupé par un riche négociant ; M. Montague avait loué tout le haut : un apparte-