Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/464

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comprenait rien quand il m’a entendu en demander deux. Il n’y voit pas plus loin que le bout de son nez, ce pauvre Tom. Des boucles d’oreilles et des bracelets, et une ceinture pour vous serrer la taille ! … Ah ! c’est superbe ! Faites-nous voir comme cela vous va bien. Priez M. Westlock de vous les attacher. »

C’était la plus jolie chose du monde de voir Ruth lever son bras blanc et potelé, et John (ô le vilain hypocrite ! ) presser le bras comme si le bracelet était très-dur à fermer ! C’était la plus jolie chose du monde de voir Ruth essayer de s’enlacer elle-même avec la belle petite ceinture, et finir malgré tout par être obligée de requérir assistance, parce que ses doigts tremblaient trop fort. C’était la plus jolie chose du monde de la voir si confuse, si timide, avec les sourires et les teintes roses de la pudeur qui folâtraient sur son teint et l’illuminaient de l’éclat que le jeu de la lumière fait étinceler sur les diamants. C’était la plus jolie chose du monde qu’il vous eût été possible de voir dans tout le cours d’une année d’expériences ; vous pouvez compter là-dessus.

« La parure et celle qui la porte vont si bien ensemble, dit le vieillard, que je ne sais vraiment laquelle des deux sied mieux à l’autre. M. Westlock pourrait nous le dire, sans nul doute ; mais je ne veux pas le lui demander : c’est un témoin trop suspect. Je vous souhaite de vivre assez pour les user, ma chère, et d’avoir assez de bonheur pour les oublier, à moins que ce ne soit en souvenir d’un ami dévoué. »

Martin caressa la joue de Ruth, et dit à Tom :

« Je dois ici remplir aussi le rôle d’un père. Il n’y a pas beaucoup de pères qui marient le même jour deux filles comme celles-là ; mais nous sacrifierons la vraisemblance à la satisfaction de la fantaisie d’un vieillard. On peut me passer celle-là, ajouta-t-il, j’en ai satisfait si peu dans tout le cours de ma vie, pour faire le bonheur d’autrui, Dieu me pardonne ! »

Ces divers incidents avaient pris tant de temps, et les quatre amis s’étaient livrés ensuite à une si agréable conversation, qu’au moment où ils songèrent enfin à partir, il ne restait plus qu’un quart d’heure avant le dîner. Un fiacre les transporta rapidement au Temple, où ils trouvèrent tous les préparatifs achevés pour leur réception.

M. Tapley, muni de pouvoir illimités pour commander le dîner, s’était donné tant de mal pour répondre dignement à la circonstance, qu’on trouva tout servi un banquet somptueux ;