Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/465

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il est vrai qu’il n’en avait pas l’honneur à lui tout seul : il s’était fait aider par sa prétendue, M. Chuzzlewit insista pour qu’ils se missent à table comme les autres, et Martin appuya de toute sa force le vœu de son grand-père : mais rien ne put y déterminer Mark ; il déclara qu’en ayant l’honneur de veiller au bien-être des convives, il se figurait par avance être déjà le maître du Joyeux Tapley, et se faisait la douce illusion que la fête actuelle avait lieu sous le toit de son établissement.

Pour mieux se persuader de la réalité de cette fiction, M. Tapley prit sur lui de donner aux garçons de l’hôtel diverses instructions générales sur la disposition des plats, et ainsi de suite ; et, comme la plupart de ces instructions étaient diamétralement opposées à tous les précédents connus, et que la manière facétieuse dont ils les donnait, dans le langage le plus grotesque, ne les rendait pas moins plaisantes pour la forme que pour le fond, elles communiquaient aux domestiques placés sous ses ordres une hilarité incessante dont il prenait largement sa part, jouissant ainsi tout le premier du bénéfice de sa belle humeur.

Il les amusait encore par des anecdotes courtes et brèves, tirées de ses voyages et appropriées à la circonstance ; le tout entremêlé de quelque trait comique de ses amours étranges avec Mme Lupin : si bien qu’on entendait continuellement des explosions de fou rire du côté du buffet, et derrière le dos des convives, et que le garçon en chef (qui portait de la poudre, une culotte courte, un homme enfin grave et sérieux par état) devint écarlate, et éclata à en casser les pattes de son gilet ; on les entendit craquer.

Le jeune Martin était assis au haut de la table, et Tom Pinch à l’autre extrémité : s’il y avait à ce festin un visage heureux, c’était le visage de Tom. C’était lui qui donnait le ton. Chacun lui portait son toast, chacun le regardait, chacun songeait à lui, chacun l’aimait. Sitôt qu’il posait son couteau et sa fourchette, chacun lui tendait la main pour presser la sienne. Avant le dîner, Martin et Mary l’avaient pris à part et l’avaient entretenu avec chaleur de l’avenir, protestant d’une manière si ardente, qu’à leurs yeux leur bonheur ne serait complet qu’autant qu’ils jouiraient de sa société et de son amitié la plus étroite, que Tom en fut positivement ému jusqu’aux larmes. C’était plus qu’il n’en pouvait supporter. Son cœur, dit-il, était inondé de félicité. Et c’était la vérité pure. Tom ne savait pas dire le contraire de ce qu’il pensait ; oh ! oui,