Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/471

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Je crains que mon jugement n’ait été cruel. Dites-moi que vous m’avez pardonné. »

Elle baisa de nouveau la main de M. Chuzzlewit, et la retenant entre les siennes, elle remercia d’une voix étouffée le vieux gentleman des bontés qu’il n’avait cessé de lui témoigner depuis ce jour.

« Tom Pinch, dit Martin, m’a fidèlement rapporté le message dont vous l’avez chargé pour moi, à une époque où il ne semblait guère probable qu’il eût jamais occasion de me le communiquer. Croyez-moi, s’il m’arrive une autre fois d’avoir affaire à une pauvre fille mal conseillée, mal dirigée, qui méconnaît sa force et la prend pour de la faiblesse, j’aurai pour elle de plus longs ménagements et plus de pitié que je n’ai fait.

– Vous en avez eu pour moi, oui, même pour moi, répondit Merry. J’en suis persuadée, vous n’avez fait que répéter, après moi, les paroles que je vous ai dites dans un moment de chagrin amer et cuisant ; maintenant, si je les dis encore, ce n’est plus que pour d’autres, mais je ne puis plus me les appliquer. Vous m’avez parlé, après m’avoir observée jour par jour. Il y avait là de votre part une grande bonté ; peut-être eussiez-vous pu me parler plus affectueusement ; peut-être eussiez-vous pu essayer de gagner ma confiance avec un peu plus de douceur ; mais le dénouement n’en eût pas moins été le même. »

Le vieillard secoua la tête d’un air de doute. On voyait qu’il s’adressait intérieurement quelques reproches.

« Comment pourrais-je me flatter, dit-elle, que votre intervention eût eu quelque effet sur moi, quand je me rappelle combien j’étais obstinée ? Mon cher monsieur Chuzzlewit, je ne songeais pas à demander des conseils, je n’y songeais nullement : je n’en avais ni la pensée ni le désir, ni le moindre souci, dans ce temps-là. Il a fallu mes malheurs pour m’éclairer : ce n’est qu’alors que j’ai senti ma faute. Je ne voudrais pas effacer du passé mon malheur même, avec tous les chagrins qu’il me cause (et ils sont bien légers en comparaison des épreuves que subissent des millions de pauvres créatures qui valent mieux que moi) ; non, je ne voudrais pas l’effacer du passé, quand bien même cela me serait possible. Mon malheur a été mon meilleur ami : sans lui, rien n’eût pu me changer, rien absolument. Ne croyez pas que mes larmes démentent cette assurance : je ne puis les retenir ; mais c’est égal, au fond du cœur, je rends grâce à mon malheur, soyez sûr que je lui rends grâce.