Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/472

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— Oui, oui, elle est sincère, dit Mme Todgers ; j’en suis persuadée, monsieur.

– Et moi aussi, dit M. Chuzzlewit. Maintenant écoutez-moi attentivement, ma chère. La fortune de feu votre mari, si déjà elle n’est aux trois quarts compromise, en garantie d’une forte dette contractée envers l’établissement en faillite aujourd’hui (en vertu d’une pièce que les fugitifs ont renvoyée en Angleterre, parce qu’elle ne leur était bonne à rien, moins pour servir de sauvegarde aux intérêts des créanciers que par haine contre Jonas, que ses anciens associés supposaient vivant encore) ; cette fortune, dis-je, sera confisquée par la loi : rien en effet, à ce que j’ai appris, ne peut la sauver des réclamations des actionnaires qui ont été lésés dans l’affaire frauduleuse où votre mari s’était engagé. Tout, ou presque tout le bien de votre mari, se trouve compromis aussi dans la même opération. S’il en reste quelques débris, ils seront saisis de même. Vous n’avez donc plus de chez vous là-bas.

– Je ne saurais retourner avec lui, dit Merry par un souvenir instinctif de la contrainte qu’elle avait subie pour se marier. Je ne saurais retourner avec lui !

– Je le sais, reprit M. Chuzzlewit ; et si je suis venu ici, c’est que je le sais. Suivez-moi, mon enfant ! Vous n’avez à attendre qu’un accueil empressé de tous ceux qui m’entourent ; soyez-en certaine, j’en ai reçu d’eux l’assurance. Mais en attendant que votre santé soit rétablie, que vous ayez repris la force nécessaire pour supporter leur société, il faut que vous habitiez quelque retraite paisible, à votre convenance, près de Londres ; pas assez loin cependant pour que cette bonne dame ne puisse vous aller voir aussi souvent qu’elle le désirera. Vous avez beaucoup souffert : mais vous êtes jeune, vous avez devant vous un avenir moins triste et moins sombre. Venez avec moi. Votre sœur se soucie très-médiocrement de vous, je le sais. Elle n’a rien de plus pressé que d’afficher son mariage d’une manière qui, pour ne rien dire de plus, est à peine décente, et n’est en tout cas ni fraternelle ni généreuse. Quittez cette maison avant l’arrivée de ses invités. Votre sœur n’est pas fâchée de vous mortifier : épargnez-lui cette mauvaise action ; venez avec moi ! »

Mme Todgers, malgré le chagrin qu’elle avait de se séparer de Merry, joignit ses conseils à ceux de M. Chuzzlewit. Le pauvre vieux Chuffey lui-même (qui naturellement se trouvait compris dans le projet de départ) parla dans le même