Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/475

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encore aperçu de l’expression étrange qui régnait sur les traits de M. Tapley.

« Qu’y a-t-il, Mark ? qu’est-ce que vous avez donc ? dit-il, sitôt qu’il eut tourné les yeux vers lui.

– L’événement le plus extraordinaire, monsieur ! répondit Mark, tirant sa voix du creux de sa poitrine avec les efforts les plus laborieux et pouvant à peine articuler un mot, en dépit de tous ses efforts. Une rencontre comme il n’en fut jamais ! Le ciel me confonde si ce ne sont pas nos deux anciens voisins, monsieur !

– Quels voisins ? cria le vieux Martin regardant par la portière. Où donc ?

– Je me promenais de long en large dans un rayon de cinq à six pieds, répondit M. Tapley respirant à peine, quand je les ai vus arriver comme leurs propres fantômes, car je les ai pris pour des revenants ! … C’est la coïncidence la plus extraordinaire. Qu’on apporte une plume et qu’on me jette par terre avec ; je ne tiens plus qu’à un fil.

– Qu’est-ce que vous voulez dire ? s’écria le vieux Martin, presque aussi agité par le spectacle de l’exaltation de Mark que ce drôle de garçon lui-même. Où ça, des voisins ?

– Là, monsieur ! répondit Tapley. Dans la cité de Londres ! ici-même ! sur ce pavé que vous voyez ! Les voilà, monsieur ! Croyez-vous que je ne les reconnaisse pas ? Que Dieu bénisse leurs visages aimés ! Ah ! vous croyez que je ne les reconnais pas ? »

Tout en jetant ces exclamations, non-seulement Tapley montra un homme et une femme de bonne mine qui se tenaient dans la petite cour du Monument, mais encore il se mit à les embrasser l’un après l’autre à plusieurs reprises.

« Des voisins ! … Où ça ? … cria le vieux Martin, exalté jusqu’à la folie par les efforts impuissants qu’il faisait pour sortir de la voiture.

– Nos voisins d’Amérique ! nos voisins d’Éden ! Voisins de marécage, voisin de taillis, voisins de fièvre ! Ne nous a-t-elle pas soignés ? Et lui, ne nous a-t-il pas assistés ? Sans eux, ne serions-nous pas morts tous deux ? Ne les voilà-t-il pas revenus à grand’peine, sans ramener un seul enfant pour leur consolation ? Parlez-moi de ces voisins-là ! »

Et le voilà parti comme un vrai sauvage, se pendant au cou de ses amis, sautant autour d’eux, passant entre eux, comme s’il exécutait une danse fantastique et exotique.