Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/479

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cher Moddle à l’appartement fraîchement meublé. La femme forte essaya de soutenir le courage de miss Pecksniff. Ce n’était encore là, lui dit-elle, qu’un échantillon de ce qu’elle avait à attendre. Cela ne lui serait pas inutile pour perdre, en matière de mariage, toute illusion romanesque. Les demoiselles au nez rouge prodiguaient aussi à Charity les plus tendres consolations. « Peut-être va-t-il arriver, » disaient-elles. Le neveu à la silhouette effacée insinua qu’il n’était pas impossible qu’il fût tombé du haut d’un pont. La fureur de M. Spottletoe résistait à toutes les supplications de sa femme. Tout le monde parlait à la fois, et miss Pecksniff, les mains jointes, cherchait des consolations partout sans en trouver nulle part, quand Jinkins, ayant rencontré le facteur à la porte de la maison, revint avec une lettre qu’il remit entre les mains de Charity.

Miss Pecksniff ouvrit la lettre, y jeta les yeux, poussa un cri perçant, laissa glisser le papier sur le parquet et tomba évanouie.

On ramassa la lettre, et les assistants, groupés en cercle et regardant les uns par-dessus l’épaule des autres, lurent les lignes suivantes parsemées de tirets :

« À la hauteur de Gravesend.

« Clipper shooner le Cupidon.
« Mercredi soir.
« MISS PECKSNIFF, MALHEUREUSE VICTIME À JAMAIS !

« Avant que ceci vous parvienne, le soussigné sera – s’il n’est pas un cadavre – en route pour la terre de Van Diémen. N’envoyez pas à sa poursuite. Jamais on ne le prendra vivant !

« La charge, – jauge de 300 tonneaux ; – pardon si dans ma préoccupation je fais une allusion au bâtiment, – la charge qui pèse sur mon esprit – est devenue effrayante. Souvent, – tandis que vous essayiez de calmer mon front avec vos baisers, – des idées de suicide me passaient au travers de la tête. Souvent, vous ne voudrez pas me croire, j’ai abandonné ces idées.

« J’en aime une autre. Cette autre est à un autre. Il semble qu’ici-bas tout appartienne à quelqu’un, excepté à moi, qui ne possède rien au monde, – pas même ma position – que j’ai