Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/481

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crue celle de leur défaite, c’était plus que miss Pecksniff n’en pouvait supporter. Miss Pecksniff s’était, ma foi ! évanouie pour de bon.



Quels sont ces accords majestueux qui retentissent à mon oreille ? Suis-je transporté dans une chambre noire ?

Quelle est cette douce figure, assise devant le clavier d’un orgue ?

Ah ! Tom, cher Tom, vieil ami !

Tes cheveux ont grisonné avant l’âge, quoiqu’il se soit passé déjà du temps depuis que nous te suivions pas à pas, cher Tom. Mais, dans ces accords par lesquels tu as l’habitude d’accompagner le crépuscule, la musique de ton cœur parle et s’épanche : l’histoire de ta vie se raconte elle-même.

Ta vie, Tom ! elle est tranquille, calme et heureuse.

Dans le chant suave qui sans cesse revient captiver l’oreille, le souvenir de ton ancien amour trouve une voix peut-être ; mais ce souvenir, agréable et doux, ressemble à celui que nous adressons quelquefois à nos morts bien-aimés, et ne saurait t’affliger, Dieu merci !

Touche légèrement le clavier, Tom, aussi légèrement qu’il te plaira ; jamais ta main ne se posera à moitié aussi légère sur cet instrument qu’elle ne se pose sur la tête de ton ancien tyran aujourd’hui terrassé ; et jamais tes doigts n’en tireront un son aussi sourd que les plaintes continuelles de ce misérable.

Car un sale écrivain public, un ivrogne, un mendiant, du nom de Pecksniff, avec une fille acariâtre, te poursuit sans cesse, Tom ; et, quand il fait des appels à ta bourse, il te rappelle qu’il a bâti ta fortune sur de meilleurs fondements que la sienne ; et quand il a dépensé cet argent, il raconte à ses dignes amis de cabaret l’histoire de ton ingratitude et les beaux traits de la munificence qu’il déploya jadis à ton égard ; et alors il montre ses coudes percés et étale sur un banc ses souliers sans semelles, en invitant les auditeurs à les regarder, tandis que toi tu es bien logé et bien vêtu. Tu sais tout cela, et cependant tu le supportes patiemment, Tom !

Alors, les traits éclairés par un sourire, tu passes doucement à une autre mesure, à une mesure plus vive et plus gaie ; et de petits pieds ont l’habitude de danser autour de toi en entendant cette mesure-là, et de jeunes yeux brillants se