Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/60

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« Holà ! dit-il, Sairah ! Je n’ai pas besoin de vous demander comment vous vous êtes portée depuis ces derniers temps, car vous êtes florissante. En pleine fleur, en pleins boutons. N’est-ce pas, Polly ?


– Voyez-vous l’audace de ce petit téméraire ! cria mistress Gamp, qui au fond n’était pas mécontente du compliment. Ça frétille déjà comme un jeune moineau ! Je ne voudrais pas pour cinquante livres sterling être la mère de cette créature ! »


M. Bailey considéra cette déclaration comme un aveu délicat de l’amour de la dame, comme une manière de faire entendre qu’il n’y avait pas d’argent au monde auquel elle voulût faire le sacrifice de ses espérances. Il se sentit flatté. L’affection désintéressée flatte toujours.


« Ah ! mon Dieu ! dit en gémissant mistress Gamp qui se laissa tomber dans le fauteuil à barbe ; savez-vous, monsieur Sweedlepipe, que les gens de ce brave Bull ont fait de leur mieux pour me séduire ? c’est bien de tous les malades de cette vallée de ténèbres celui qui vous donne le plus de fil à retordre. »


C’était l’habitude de mistress Gamp, comme des autres personnes de sa profession, de parler ainsi de ses meilleures pratiques : cette tactique avait pour double effet de décourager les compétiteurs de l’emploi et de faire comprendre aux clients la nécessité de bien traiter les gardes-malades.


« On parle de constitution ! observa mistress Gamp. Il faudrait en avoir une de fer pour supporter cela. Mme Harris me disait précisément l’autre jour : « Oh ! Sairey Gamp, qu’elle me disait, comment pouvez-vous y tenir ? – Madame Harris, que je lui dis, ce n’est pas en nous-mêmes que nous en puisons la force ; nous la puisons ailleurs ; c’est dans nos sentiments religieux, et ils ne nous font pas défaut. – Sairey, me dit mistress Harris, il n’y a que ça dans la vie : il n’y a pas autre chose que ça. »


Le barbier fit entendre un léger murmure, comme pour dire que l’observation de Mme Harris, bien qu’elle ne fût peut-être pas aussi intelligible qu’on eût pu l’espérer d’une telle autorité, faisant également honneur à son esprit et à son cœur.


« Et maintenant, poursuivit mistress Gamp, et maintenant, est-ce que je ne vais pas à vingt milles de distance m’exposer à toutes les chances les plus pénibles qu’ait jamais subies une garde-malade au mois ? Mistress Harris me disait, avec un