Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/86

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« Une querelle toute passive, mon amour, dit M. Pecksniff, peut se changer en une guerre active ; souvenez-vous-en. Il serait pénible de couronner la ruine d’un jeune homme déshérité déjà dans ses espérances compromises : mais ce ne serait pas difficile. Ah ! que c’est facile, au contraire ! Vous dites que j’ai quelque influence sur notre vénérable ami ? c’est bien possible, je ne dis pas non. »

Il leva ses yeux sur ceux de Mary, et secoua la tête d’un air de raillerie charmante.

« Non, continua-t-il d’un ton plus sérieux ; tout considéré, ma mignonne, si j’étais à votre place, je garderais mon secret pour moi. Je ne suis pas du tout sûr, bien loin de là, que la chose surprît notre ami : car nous avons eu ensemble, pas plus tard que ce matin, un bout de conversation, et la nécessité de vous établir d’une manière plus convenable lui donne de l’anxiété, beaucoup d’anxiété. Mais qu’il soit surpris ou non, la conséquence de votre dénonciation serait la même. Martin junior pourrait en souffrir beaucoup. Je ne demande pas mieux que d’avoir pitié de Martin junior, voyez-vous ! dit M. Pecksniff avec un sourire persuasif. Il ne le mérite guère ; mais c’est égal, c’est moi qui sollicite sa grâce auprès de vous. »

C’est pour le coup que la jeune miss pleura amèrement ; elle tomba dans un tel accès de douleur, que Pecksniff jugea prudent de laisser là sa taille et qu’il ne tint plus Mary que par la main.

« Quant à notre part dans cet important petit secret, dit-il, nous la garderons pour nous et nous en parlerons entre nous, lorsque les premiers moments seront passés. Vous consentirez, mon amour, vous consentirez, je le sais. Quelle que soit votre idée à cet égard, vous consentirez. Je crois me rappeler avoir ouï dire, je ne sais vraiment où ni comment, ajouta-t-il avec une franchise enchanteresse, que vous et Martin junior, quand vous étiez petits, vous avez éprouvé l’un pour l’autre une sorte de tendresse enfantine. Lorsque nous serons mariés, vous aurez la satisfaction de penser qu’au lieu de persévérer pour sa ruine, cette fantaisie vous a passé pour son bien : car nous verrons alors ce qu’il nous sera possible de faire pour rendre à Martin junior quelque petit service. J’ai, dites-vous, de l’influence sur notre vénérable ami ? peut-être bien ; je ne dis pas non. »

L’entrée du bois où se passait cette scène charmante touchait à la maison de M. Pecksniff. Les deux interlocuteurs se