Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/88

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— Eh quoi! est-ce que… est-ce que vous allez vous marier, miss Pecksniff ? demanda Tom, au comble de la surprise.

— Pas positivement, dit Charity en balbutiant. Je n’y suis point encore décidée. Je crois que ce serait déjà fait, si j’avais voulu, monsieur Pinch.

— Je crois bien, » dit Tom.

Et en effet, il le croyait de bonne foi, il le croyait du fond du cœur.

« Non, dit Charity , je ne vais pas me marier. Ni moi, ni d’autre, que je sache. Hum ! mais je ne vais plus demeurer avec papa. J’ai mes raisons, mais c’est un grand secret. J’éprouverai toujours une vive amitié pour vous, je vous l’assure, à cause de la fermeté que vous avez montrée certaine nuit. Pour ce qui est de vous et de moi, monsieur Pinch, nous nous, séparons les meilleurs amis du monde ! »

Tom la remercia de sa confiance et de son amitié ; mais la première cachait encore un mystère qui le confondait complétement. Dans son dévouement extravagant pour la famille Pecksniff, il avait ressenti la perte de Merry plus qu’on n’aurait pu le croire, si l’on n’avait pas su que, plus il éprouvait d’avanies dans cette maison, plus il se reprochait de les avoir méritées. A peine s’était-il réconcilié avec cette idée que voilà Charity qui allait partir aussi ! Elle avait grandi en quelque sorte sous les yeux de Tom. Si les deux sœurs étaient les filles de Pecksniff, elles ne l’étaient guère moins de Tom : il était accoutumé à les servir comme Pecksniff à les aimer. Il ne pouvait donc se résigner à ce nouveau départ, et Tom, n’eut pas cette nuit—là deux heures de sommeil : il la passa tout entière à réfléchir à ces terribles changements.

Quand le matin reparut, Tom pensa que tout ce mystère n’avait été qu’un rêve. Mais non : en descendant l’escalier, il trouva tout le monde occupé à boucler les malles, à lier les boîtes, à faire, pour le départ de miss Charity, une foule de préparatifs qui durèrent toute la journée. à l’heure du passage de la diligence du soir, miss Charity déposa sur la table du parloir avec une grande solennité les clefs du ménage ; elle prit gracieusement congé de toute sa maison, et donna au toit paternel une bénédiction dont, le dimanche suivant, à l’église, la servante de Pecksniff, si l’on en croit les mauvaises langues, remercia le ciel avec ferveur.