Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/90

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quelque autre moyen de faire gagner à Tom les appointements qu’il lui donnait, M. Pecksniff lui accordait la permission de cultiver cet instrument ; marque de considération dont Tom lui était infiniment reconnaissant.

L’après-midi était remarquablement chaude, et M. Pecksniff avait été assez longtemps à rôder de côté et d’autre. Il n’avait pas ce qu’on pourrait appeler une bonne oreille musicale, mais il savait bien reconnaître quand la musique devait exercer une influence calmante sur son esprit ; ici c’était bien le cas ; l’orgue, en effet, résonnait comme un mélodieux ronflement. Il s’approcha de l’église, et, regardant à travers les vitraux irisés d’une fenêtre voisine du porche, il aperçut Tom qui, ayant relevé de chaque côté les rideaux, jouait avec beaucoup d’expression et d’âme.

L’église avait une certaine fraîcheur attrayante. La vieille toiture de chêne supportée par les poutres de traverse, les murailles délabrées, les tablettes de marbre et le pavé de dalles tout fendillé, étaient rafraîchissants à voir. À l’extérieur des croisées de face, des feuilles de lierre s’agitaient gracieusement entre les vitres ; le soleil ne pénétrait que par une seule fenêtre, laissant l’intérieur de l’église dans une pénombre attrayante. Mais ce qu’il y avait de plus agréable à contempler, c’était un certain banc drapé de rouge et moelleusement garni de coussins où, le dimanche, se prélassaient les dignitaires officiels du lieu (dont M. Pecksniff était le prince et le chef). Le siège de M. Pecksniff était dans un coin, un coin remarquablement confortable, où l’énorme livre de prières du vertueux architecte étalait en ce moment sur le pupitre presque toute la capacité de son in-quarto.

Pecksniff se détermina donc à entrer dans l’église pour s’y reposer.

Il y pénétra très-doucement : d’abord, parce que c’était une église ; puis, parce que son pas était toujours léger ; ensuite, parce que Tom jouait un air solennel ; et enfin, parce qu’il pensait que le musicien serait bien surpris de le voir là quand il s’arrêterait. Tirant le verrou du haut banc réservé, il s’y glissa et le referma sur lui ; puis s’étant assis à sa place habituelle et ayant étendu ses jambes sur l’agenouilloir, il se disposa à écouter la musique.

C’est un fait inexplicable qu’il ait pu s’endormir en ce lieu, où la puissance des souvenirs qui s’y rattachaient eût été bien suffisante pour le tenir très-éveillé : ce fut pourtant ce qui eut