Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/91

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lieu. Il n’était pas depuis cinq minutes dans son bon petit coin, qu’il commença à branler la tête. Il n’y avait pas une minute qu’il était revenu à lui, que sa tête recommença à branler. Tout en ouvrant ses yeux avec indolence, il branla la tête encore ; et tout en les fermant, il continua le même mouvement. Ainsi de branle en branle, il cessa complètement de remuer et devint aussi immobile que l’église elle-même.

Longtemps après s’être endormi, il avait vaguement conscience de l’orgue, bien qu’il n’eût pas l’idée précise que ce fût plutôt un orgue qu’un bœuf. Au bout de quelques minutes, il commença à éprouver par intervalles une impression de voix entendues comme dans un rêve ; et, s’éveillant avec une curiosité indolente, il ouvrit les yeux.

Il était en effet si indolent qu’après avoir regardé l’agenouilloir et le banc, il rentrait à demi dans le chemin du sommeil quand il s’aperçut que réellement il y avait des voix dans l’église ; des voix basses, devisant avec chaleur, l’une près de l’autre, tandis que les échos de l’édifice semblaient murmurer les réponses. Il se leva et prêta l’oreille.

Avant d’avoir écouté une demi-douzaine de secondes, il se trouvait aussi éveillé qu’il avait jamais pu l’être. Les yeux, les oreilles, la bouche tout grands ouverts, il fit un petit mouvement avec une précaution infinie, et d’une main ramenant le rideau, il regarda furtivement par derrière.

C’étaient Tom Pinch et Mary. Ma foi, oui, c’étaient eux. Il avait reconnu leur voix, et déjà il était au courant du sujet de leur conversation. Sa tête, comme celle d’un homme guillotiné, avec le menton posé au niveau du rebord du banc, pouvait immédiatement faire le plongeon, si l’un des deux interlocuteurs venait à se retourner ; il écouta. Il écouta avec une attention si profonde et si concentrée, que ses cheveux mêmes et son col de chemise se hérissaient pour lui prêter leur concours.

« Non, s’écria Tom, aucune lettre ne m’est parvenue, sauf une que j’aie reçue de New-York. Mais ne vous inquiétez pas à cet égard ; car il est très-vraisemblable qu’ils sont partis pour quelque lieu éloigné où le service de la poste n’est ni régulier ni fréquent. Il m’annonçait dans sa lettre qu’il fallait s’y attendre, même dans la ville où lui et son compagnon comptaient se rendre, Éden, vous savez.

– C’est une chose qui me tourmente cruellement, dit Mary.