Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/92

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— Il ne faut pas vous tourmenter, dit Tom. Il y a un dicton bien vrai : c’est que rien ne marche aussi vite que les mauvaises nouvelles ; et croyez que, si le moindre accident était survenu à Martin, vous en eussiez certainement entendu parler depuis longtemps. Il y a longtemps aussi que je voulais vous le dire, poursuivit Tom avec un embarras qui lui allait très-bien, mais vous ne m’en avez jamais offert l’occasion.

– J’ai eu peur quelque fois, dit Mary, que vous ne pussiez supposer que j’hésitais à me confier à vous, monsieur Pinch.

– Non, balbutia Tom ; je… je ne sache pas avoir jamais supposé cela. Si cette pensée m’était venue, je suis sûr que je l’eusse repoussée aussitôt comme une injustice à votre égard. Je sens bien tout ce qu’il y a pour vous de délicat à me faire vos confidences ; mais je donnerais ma vie pour vous épargner un jour de malheur ; oui, je la donnerais !

– Pauvre Tom ! »

Il continua ainsi :

« J’ai quelquefois rêvé que je pouvais vous avoir déplu en… en ayant la hardiesse de chercher à deviner et de devancer de temps en temps vos désirs. D’autres fois, je me suis imaginé que c’était par bonté que vous vous teniez loin de moi.

– Vraiment ?

– C’était de la folie ; c’était une présomption ridicule de m’imaginer cela : mais je craignais que vous n’eussiez supposé comme possible que je… je vous admirasse trop pour mon repos, et qu’ainsi vous ne vous fussiez refusé la légère assistance qu’autrement vous eussiez volontiers reçue de moi. Si jamais, dit Tom avec trouble, si jamais une semblable idée s’est présentée à votre esprit, éloignez-là, je vous en prie. Il faut peu de chose pour mon bonheur, et je vivrai content ici longtemps après que vous et Martin m’aurez oublié. Je suis une pauvre créature timide et gauche ; je ne suis pas du tout un homme du monde ; et vous n’avez pas plus à vous inquiéter de moi, voyez-vous, que si j’étais tout simplement un vieux moine ! »

Si les moines ont tous un cœur comme le tien, pauvre Tom, puissent-ils multiplier leur espèce ! quoique la multiplication ne soit pas une des quatre règles de leur rigoureuse arithmétique.

« Cher monsieur Pinch ! dit Mary, lui donnant la main, je ne saurais vous dire combien votre amitié m’émeut. Jamais je