Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/93

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ne vous ai fait le tort de concevoir le moindre doute à votre égard ; jamais un seul instant je n’ai cessé de penser que vous étiez exactement, et plus encore peut-être, tel que Martin vous avait jugé. Sans les attentions silencieuses, sans l’amitié dont j’ai été l’objet de votre part, ma vie eût été bien malheureuse ici. Mais vous avez été mon bon ange, vous avez rempli mon cœur de reconnaissance, d’espoir et de courage.

– J’ai bien peur, répliqua Tom en secouant la tête, de ne pas plus ressembler à un ange que n’y ressemble maint chérubin de pierre sur les tombeaux ; et je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’anges de ce modèle. Mais je désirerais savoir, si vous daignez me l’apprendre, pourquoi vous avez gardé un tel silence à l’égard de Martin.

– Parce que j’ai craint de vous faire du tort.

– De me faire du tort ! s’écria Tom.

– Oui, vis-à-vis de votre maître. »

Le gentleman en question fit le plongeon.

« De Pecksniff ! dit Tom d’un air de confiance et d’enjouement. Oh ! bon Dieu ! il ne songerait jamais à nous soupçonner ! C’est le meilleur des hommes. Plus vous seriez contente, plus il serait joyeux. Oh ! mon Dieu, vous n’aviez pas à craindre Pecksniff. Ce n’est pas un espion. »

À la place de M. Pecksniff, plus d’un homme, s’il eût pu plonger à travers le parquet du banc officiel, pour descendre à Calcutta ou dans quelque pays désert, de l’autre côté du globe, n’eût pas manqué de le faire aussitôt. M. Pecksniff s’assit tranquillement sur l’agenouilloir et se mit à sourire en écoutant avec plus d’attention que jamais.

Cependant Mary paraissait avoir exprimé un doute, car Tom continua d’un ton d’honnête énergie :

« Vraiment, je ne sais comment cela se fait ; mais toujours il arrive, quand je tiens ce langage devant qui que ce soit, que je ne vois personne rendre justice à Pecksniff. C’est une des circonstances les plus extraordinaires qui soient jamais parvenues à ma connaissance, mais c’est comme cela. Voilà John Westlock, qui a été ici en qualité d’élève ; un des meilleurs garçons du monde, à tous autres égards ; je crois en vérité que Westlock eût voulu, s’il eût été possible, voir Pecksniff fouetté à la queue d’une charrette. Et ce n’est point du tout un cas isolé : car tous les élèves qui se sont succédé de mon temps sont partis de la maison avec une haine invétérée contre Pecksniff. Voilà Mark Tapley aussi, qui était dans une condi-