Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/96

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cruels, m’en expose le plan avec une langue doucereuse et une figure souriante, à la clarté du grand jour, tandis qu’il m’impose de force ses embrassements et porte à ses lèvres une main… » Et la jeune fille ajouta tout agitée, en étendant le bras : « Une main que j’eusse voulu voir tomber mutilée, pour échapper à la honte et à la dégradation de son attouchement !

– Je dis, s’écria Tom très-exalté, je dis que c’est un misérable et un lâche. Je ne m’inquiète pas de savoir qui il est ; je dis que c’est un double lâche, le plus odieux des misérables ! »

Couvrant encore une fois son visage de ses mains, comme si la passion qui l’avait soutenue à travers ces aveux s’était éteinte dans une accablante sensation de honte et de douleur, la jeune fille fondit en larmes.

Si toute marque de chagrin provoquait sûrement la compassion de Tom, celle-ci devait l’exciter à plus forte raison. Les pleurs et les sanglots de Mary étaient autant de flèches qui lui perçaient le cœur. Il essaya de la consoler ; il s’assit auprès d’elle ; il déploya tout son fonds d’éloquence intime, et parla de Martin en termes pleins de louange et d’espérance. Oui, quoiqu’il l’aimât de tout son cœur et d’un amour si désintéressé qu’une femme en inspire rarement de semblable, il ne lui parla, du commencement à la fin, que de Martin. Tous les trésors de l’Inde n’eussent pas tenté Pinch d’escamoter un seul instant le nom de celui qu’elle aimait.

Lorsque Mary fut un peu remise, elle fit comprendre à Tom Pinch que l’homme qu’elle lui avait dépeint était Pecksniff sous ses couleurs réelles ; mot par mot, phrase par phrase, autant qu’elle en avait le souvenir, elle rappela ce qui s’était passé entre eux dans le bois. Vous jugez de la haute satisfaction du gentleman lui-même qui, dans son désir de voir et sa crainte d’être vu, plongeait constamment au fond du banc officiel et revenait à la surface, comme on voit, au tréteau de Polichinelle, l’intelligent propriétaire éviter adroitement les coups de bâton qui menacent sa tête. Lorsque Mary eut achevé son récit et supplié Tom de faire bien attention quand il serait avec elle à ne rien témoigner des explications qu’elle lui avait données ; lorsqu’elle l’eut vivement remercié, ils se séparèrent pleins d’alarme en entendant des pas dans le cimetière ; et Tom demeura seul de nouveau dans l’église.

C’est alors que cette découverte pleine d’agitation et d’angoisse vint bouleverser l’âme de Tom. L’étoile qui, depuis son