Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/97

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enfance, avait éclairé toute sa vie, était devenue en un instant une vapeur infecte. Ce n’était pas que Pecksniff, le Pecksniff de Tom, eût cessé d’exister, mais c’était qu’il n’eût jamais existé. Dans la mort de Pecksniff, Tom aurait eu la consolation de se rappeler ce qu’il était habituellement ; mais, après cette révélation, il avait la douleur de songer à ce qu’il n’avait jamais été. En effet, de même que l’aveuglement de Tom à cet égard avait été complet et non pas partiel, de même ses yeux s’ouvrirent tout entiers à la lumière. Jamais son Pecksniff n’eût pratiqué les œuvres de mal dont il venait d’entendre parler ; mais enfin un autre Pecksniff avait pu le faire ; et le Pecksniff qui avait été capable de cela avait été capable de tout, et nul doute que, durant toute sa carrière, il n’eût fait quelque chose, voire même toute espèce de choses, excepté le bien. De la hauteur démesurée où le pauvre Tom l’avait placée, son idole était tombée tout de son long, et

Jamais ni les chevaux ni les valets du roi
N’eussent pu relever Pecksniff en désarroi.

Des légions entières de Titans eussent échoué à le retirer de la fange et à le remettre sur ses pieds ; mais ce n’était pas lui qui en souffrait, c’était Tom. Pauvre Tom ! sa boussole était brisée, sa carte marine déchirée, son chronomètre s’était arrêté, ses mâts étaient tombés par-dessus bord, son ancre avait chassé à dix mille lieues au loin.

M. Pecksniff le surveillait avec une attention profonde, car il devinait bien l’objet des réflexions de Tom, et il était curieux de voir ce qu’il allait faire. Durant quelque temps, Tom parcourut en long et en large l’aile de l’église, comme une âme en peine ; il ne s’arrêtait parfois que pour s’appuyer sur un banc et méditer à son aise ; puis il se mit à contempler un vieux tombeau blanchi élégamment et bordé de crânes et d’os en sautoir, comme si c’était le plus beau chef d’œuvre qu’il eût jamais vu, bien qu’en toute autre occasion il professât pour cet objet d’art le mépris le plus indicible ; puis il s’assit, puis il se remit à marcher de çà et de là ; ensuite il revint d’un pas errant à la tribune de l’orgue et fit résonner les touches : mais leur harmonie était changée, leur douceur mélodique s’était évanouie ; et Tom, laissant vibrer longuement une note mélancolique, inclina sa tête sur ses mains et s’abandonna à son désespoir.

« Je ne me serais pas occupé, dit Tom Pinch, se levant de